Le mécanisme Clearfield: on refait la paix, encore une fois
©Ici Beyrouth

On prend les mêmes et on recommence. À chaque accalmie sur la frontière sud, les mêmes mots défilent, les mêmes communiqués s’alignent, les mêmes diplomates s’agitent, convaincus que cette fois-ci, «c’est différent». On parle d’un «plan de désescalade progressif», d’un «mécanisme de surveillance», d’un «retour aux résolutions de base». On promet, avec gravité, «une solution durable». Puis le silence retombe, jusqu’à la prochaine frappe ciblée ou au tir de roquette suivant.

Depuis le cessez-le-feu instauré le 27 novembre 2024 entre Israël et le Hezbollah, se joue une étrange pièce de théâtre diplomatique où chacun récite un rôle désormais bien rodé. La communauté internationale fait croire à un arrangement structurant, le gouvernement libanais se drape dans sa souveraineté, le Hezbollah garde son langage de résistance millimétré et Tel-Aviv répète son éternel mantra: pas de sécurité dans le Nord tant que le Hezbollah reste dans le Sud et qu’il est armé.

Le «mécanisme» Clearfield

À la frontière entre le Liban et Israël, la diplomatie laisse place au «mécanisme de surveillance», qui a vu le jour au lendemain de l’annonce du cessez-le-feu le 27 novembre 2024. Ce mécanisme est aujourd’hui, rappelons-le, présidé par le général américain Joseph Clearfield, tout juste nommé à la tête du comité chargé de superviser l’accord de trêve. Ancien haut gradé du Corps des Marines, réputé pour sa fermeté et son sens du terrain, M. Clearfield s’est lancé, jeudi, dans une tournée marathon à Beyrouth. Il a ainsi rencontré le président, Joseph Aoun, le président du Parlement, Nabih Berry, et le Premier ministre, Nawaf Salam. Objectif affiché: redonner vie à une structure censée garantir le respect d’un cessez-le-feu que plus personne ne respecte vraiment, institutionnaliser des réunions régulières du comité et «stabiliser le Sud» par des mesures concrètes. Autrement dit, tenter d’imposer une méthode dans un désordre chronique.

Le général a ainsi promis une série d’étapes pour «instaurer durablement l’arrêt des hostilités», tandis que les responsables libanais, d’une voix unanime, ont exigé que la mission s’attaque d’abord aux violations israéliennes répétées du cessez-le-feu conclu en novembre dernier. Le président Aoun, soucieux de replacer l’armée au centre du dispositif, a réclamé une «réactivation du mécanisme» pour contraindre Israël à cesser ses raids, rappelant que le Liban «a scrupuleusement respecté ses engagements» et que son armée «renforce jour après jour son déploiement au sud du Litani».  Le chef de l’État a même dressé un tableau optimiste de la situation, évoquant le «nettoyage» des zones infiltrées, la saisie d’armes et la disparition des «manifestations armées», autant d’éléments que la réalité du terrain peine pourtant à confirmer.

De son côté, le chef du législatif, Nabih Berry a profité de sa rencontre avec Clearfield pour dresser la liste exhaustive des griefs libanais: bombardements aériens quasi quotidiens, destructions d’infrastructures agricoles et industrielles, maintien d’une présence israélienne sur des parcelles libanaises, autant de violations, selon lui «flagrantes», de la résolution 1701. Le Premier ministre, Nawaf Salam, a, pour sa part, choisi un ton plus institutionnel: il a réaffirmé l’engagement du gouvernement à «restaurer l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire au sud du Litani avant la fin de l’année», conformément au plan d’action de l’armée. Une promesse immédiatement tempérée par un rappel: «Israël doit, lui aussi, remplir ses obligations, se retirer des zones où il maintient ses positions et cesser ses violations de notre espace aérien».

Or, à peine le général avait-il bouclé sa tournée que les bombardiers israéliens survolaient la Békaa, menant une série d’au moins vingt frappes contre des positions présumées du Hezbollah.

Un contraste brutal, presque ironique, entre les promesses feutrées échangées dans les salons de Baabda, le grondement sourd des chasseurs israéliens qui traversent le ciel libanais et les efforts persistants du Hezbollah pour se reconstituer, encore et toujours.

Les mêmes promesses, la même impasse

À Beyrouth, on parle d’«opportunité historique» pour stabiliser le front. À Tel-Aviv, on évoque une «fenêtre stratégique». À Washington, on brandit la fameuse «feuille de route» censée mettre fin à des décennies de flou sur la frontière. Une ligne bleue à réviser, des villages à démilitariser, une présence de l’armée libanaise à renforcer: le scénario est connu, les termes aussi.

Toutefois, sur le terrain, rien ne change. Le Hezbollah, après avoir perdu plusieurs commandants dans les frappes israéliennes, mais aussi – et surtout – plusieurs de ses dirigeants, dont son ancien secrétaire général, Hassan Nasrallah, s’est certes replié partiellement de la zone frontalière, mais conserve l’essentiel de ses positions et œuvre à se reconstituer. Quant à l’armée libanaise, elle reste symboliquement présente, faute de moyens et de mandat politique clair. Le déploiement prévu de ses unités au sud du Litani ressemble donc davantage à un vœu pieux qu’à un plan d’action.

Côté américain, la diplomatie américaine mise une fois de plus sur un équilibre entre la sécurité d’Israël et la stabilité du Liban. En coulisses, le vieux refrain de la résolution 1701 du Conseil de sécurité, qui enjoignait déjà en 2006 au désarmement des milices et au renforcement du contrôle de l’État sur son territoire, est continuellement repris. Dix-neuf ans plus tard, le Hezbollah a multiplié ses capacités par dix (même si aujourd’hui, en raison de la guerre, elles ont été quasi anéanties) et l’État libanais, lui, a perdu la moitié de ses moyens.

Au fond, cette «trêve durable» que l’on nous promet ressemble à toutes les précédentes: un compromis provisoire emballé dans un vocabulaire diplomatique recyclé. On parle d’«efforts conjoints», de «cadres de discussion», de «solutions inclusives», autant de mots creux qui peinent à dissimuler l’absence de courage politique. Entre-temps, on signe des papiers, on se serre la main, on invoque la paix, tandis que les drones continuent de survoler le Litani et que le Hezbollah s’alimente encore de la fragilité du gouvernement libanais. Et lorsque surviendra le prochain accrochage – car il risque de venir, préviennent plusieurs observateurs – chacun feindra la surprise de voir que la «solution durable» n’aura duré que quelques semaines.

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