Longtemps tenue à l’écart par les États-Unis dans le dossier de Gaza, et plus largement dans les affaires régionales, la Turquie effectue un retour en force, portée à la fois par la chute du président syrien Bachar el-Assad et par l’accord conclu par le président américain Donald Trump sur Gaza.
C’est en effet Ankara qui a servi d’intermédiaire entre le Hamas et Washington afin de convaincre le mouvement palestinien d’accepter le plan américain. En tant que l’un des quatre signataires de l’accord, le président turc Recep Tayyip Erdogan entend bien saisir cette opportunité pour retrouver un rôle central au Moyen-Orient et tirer profit de son rapprochement avec Donald Trump.
Un rapprochement stratégique
Selon Reuters, la participation de la Turquie aux négociations avait d’abord été rejetée par Israël, avant que Donald Trump n’intervienne personnellement pour imposer sa présence. En outre, selon le journal britannique The Guardian, Donald Trump aurait invité en dernière minute le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou au sommet sur Gaza à Charm el-Cheikh en Égypte, mais Erdogan lui aurait fait savoir qu’il ne se rendrait pas sur place si Netanyahou était présent. Même si on ignore si le refus d’Erdogan aura motivé la non-présence du Premier ministre israélien au sommet, il est clair en tout cas que le président turc a désormais l’oreille attentive de son homologue américain.
Donald Trump d’ailleurs ne tarit pas d’éloges envers Erdogan, affirmant la semaine dernière qu’il était «l’un des plus puissants au monde» et que c’était «un allié fiable», ajoutant qu’«il est toujours là quand j’ai besoin de lui». Cependant, ce revirement des États-Unis envers la Turquie – qui avaient notamment pour rappel imposé des sanctions à Ankara après son achat de systèmes de défense russes S-400 en 2020 – serait avant tout un rapprochement stratégique.
«Il s’agit moins d’un changement idéologique que d’un échange d’intérêts: maintenir la cohésion de l’Otan et accroître la pression sur la Russie et l’Iran, en contrepartie d’un réchauffement des relations de défense avec Ankara et d’une mise à l’écart des différends bilatéraux», affirme à Ici Beyrouth le chercheur Andreas Krieg du King's College de Londres.
Selon lui, le réchauffement des relations entre la Turquie et des puissances arabes telles que l’Égypte, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis a également été bien accueilli par Washington. «En résumé, la combinaison des priorités des grandes puissances et de la recalibration régionale d’Ankara a conduit à un dégel pragmatique», poursuit-il.
Un partenariat potentiellement bénéfique
Forte de cette nouvelle position, la Turquie espère tirer plusieurs bénéfices de son rapprochement avec les États-Unis. D’après Andreas Krieg, ceux-ci se déclinent en trois volets: sécurité, économie et statut.
«Sur le plan sécuritaire, Ankara cherche à préserver la tolérance américaine vis-à-vis de ses lignes rouges dans le nord de la Syrie tout en rétablissant la coopération de défense au sein de l’Otan», explique-t-il, «l’accord récent pour la vente d’un lot d’avions F-16 d’une valeur de 23 milliards de dollars montre que Washington est à nouveau disposé à coopérer lorsque la Turquie est alignée sur ses priorités, comme dans le cas de l’adhésion de la Suède à l’Otan».
Sur le plan économique, il estime que les entreprises turques souhaitent être en première ligne pour la reconstruction de Gaza, en bénéficiant des contrats et des financements qui y seront liés. «Sur le plan du statut, Ankara cherche à obtenir un rôle visible de ‘garant’ afin de renforcer son image de puissance régionale incontournable capable de résoudre les crises», ajoute-t-il.
Un avenir incertain
Nul ne peut savoir encore si l’accord sur Gaza débouchera sur des changements durables, et il est important pour Erdogan de réussir à transformer ce succès diplomatique en résultats concrets. Dans ce cadre, il a placé comme priorité immédiate début octobre l’obtention d’un cessez-le-feu total, la livraison d’aide humanitaire et la reconstruction de Gaza.
Une des étapes ultérieures du plan sur Gaza prévoit le déploiement d’une force de sécurité internationale dans l’enclave. Sur ce point, le vice-président américain JD Vance a affirmé, mardi, que «nous ne cherchons pas à imposer quoi que ce soit à nos amis israéliens en ce qui concerne la présence de troupes étrangères sur leur sol, mais nous pensons qu'il y a un rôle constructif que les Turcs peuvent jouer».
La semaine dernière, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, avait affirmé que «si une solution à deux États se concrétisait, la Turquie serait prête à assumer la responsabilité de garant de facto» de la protection des Palestiniens. Une position également soutenue par le ministre turc de la Défense, Yasa Güler, qui avait annoncé la veille du sommet en Égypte que l’armée turque était prête à prendre part «à toute mission» qui lui sera assignée dans le cadre du mécanisme lié au cessez-le-feu.
Cependant, selon le journal israélien, The Jerusalem Post, Benjamin Netanyahou aurait affirmé jeudi que les soldats turcs ne seraient pas autorisés à rentrer à Gaza, lors d'une conversation avec Hassan Mahmoud Rachad, le chef des services de renseignement généraux égyptiens, et JD Vance.
Face à un avenir particulièrement flou pour Gaza, il est difficile à l’heure actuelle de parler de réelle victoire pour la Turquie. «Si Ankara obtient un rôle officiel de garant ou de superviseur, ainsi qu’une participation à la formation d’une nouvelle force de police palestinienne, ce serait une victoire en termes d’accès et de prestige», confirme Andreas Krieg, soulignant que «dans le cas contraire, il s’agira tout au plus d’une opportunité limitée: la Turquie demeurera un médiateur clé auprès de la direction politique du Hamas et un possible acteur de soutien sécuritaire et économique, mais dans un cadre défini par Washington».
Mais la guerre à Gaza aura au moins permis à la Turquie de se rapprocher des États-Unis, de se replacer sur la scène régionale et de faire avancer ses autres dossiers comme la Syrie et les contrats militaires.




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