
Une délégation syrienne de haut niveau est arrivée mardi à Beyrouth pour raviver un dossier longtemps enfoui sous les décombres des relations bilatérales: celui des détenus syriens dans les prisons libanaises. Officiellement, la rencontre visait à finaliser un accord judiciaire entre les deux pays afin d’organiser, dans un cadre légal et assorti de garanties humanitaires, le transfert vers la Syrie des ressortissants syriens incarcérés au Liban. Officieusement, il s’agissait de mesurer l’ampleur du rapprochement possible entre Beyrouth et Damas dans un domaine où s’entremêlent justice, sécurité et mémoire politique.
Les discussions, menées dans une atmosphère qualifiée de «positive» par les deux parties, ont porté sur la mise en place de comités conjoints chargés d’examiner les dossiers des prisonniers et de déterminer les catégories susceptibles d’être transférées. Ces comités auront également pour mission, dans un autre registre, de retracer le sort des citoyens libanais portés disparus en Syrie depuis plusieurs années et de trancher les différends relatifs aux zones frontalières non délimitées.
Selon un responsable proche du dossier, interrogé par Ici Beyrouth, une première version de l’accord entre Beyrouth et Damas a déjà été conçue. Elle définirait, d’après lui, un mécanisme bilatéral de coordination entre les ministères de la Justice et de l’Intérieur des deux pays. Les comités mixtes, qui devraient entrer en fonction dans les prochains jours, examineront chaque cas individuellement avant toute décision de transfert. L’objectif affiché est d’assurer une transparence totale et d’éviter tout règlement de compte politique déguisé. Dans le même cadre, des discussions ont également été ouvertes sur le sort des disparus de la guerre et sur les perspectives de coopération judiciaire entre les deux États.
«Selon les premiers éléments de l’accord en préparation, seuls les détenus syriens n’ayant pas été impliqués dans des crimes de sang, de terrorisme ou dans des affaires portant atteinte à la sécurité nationale du Liban seraient concernés», souligne-t-on de même source. «Cette sélection stricte répond à une double exigence: éviter tout geste pouvant être perçu comme une indulgence envers de la violence, tout en soulageant un système carcéral libanais au bord de l’effondrement», ajoute-t-on.
Un autre volet important a été discuté lors de la rencontre: l’avancée de l’accord judiciaire bilatéral sur les crimes et disparitions remontant à la période du régime Assad. Selon les sources officielles, la délégation syrienne a affirmé son engagement à soutenir pleinement le travail de la commission de suivi des disparus, à transmettre toutes les informations disponibles sur les opérations de sécurité menées au Liban sous l’ancien régime, et à coopérer pour identifier et rapatrier les personnes ayant échappé à la justice libanaise vers la Syrie. Cette avancée a été rendue possible grâce à des préparatifs amorcés le mois dernier et sera consolidée par de nouvelles rencontres supplémentaires destinées à approfondir le dialogue bilatéral, dans le respect de la souveraineté de chaque État.
On rappelle, à cet égard, que les prisons libanaises sont aujourd’hui confrontées à une surpopulation critique. Selon des chiffres officiels, plus de 2.000 ressortissants syriens y sont incarcérés (soit environ 30% de la population carcérale totale). Ces détenus se répartissent, selon une source judiciaire interrogée par Ici Beyrouth, entre ceux condamnés par des décisions de justice pour crimes, ceux qui le sont pour fautes délictuelles et les détenus politiques, bon nombre d’entre eux étant encore en attente de jugement.
Ce constat dramatique a poussé Beyrouth à accélérer la recherche d’un compromis avec Damas, alors même que la situation sécuritaire et humanitaire dans les établissements pénitentiaires devient explosive. Le ministre libanais de l’Intérieur, Ahmad Hajjar, a récemment alerté sur un risque d’effondrement total du système carcéral si aucune mesure urgente n’était prise, évoquant des conditions de détention indignes, une surpopulation sans précédent et une tension grandissante parmi les détenus.
La Syrie, de son côté, affirme vouloir coopérer pleinement avec le Liban pour résoudre ce dossier «dans un esprit de fraternité et de souveraineté», mais elle exige que les transferts s’opèrent selon ses propres procédures judiciaires.
Derrière cette négociation technique se cache une équation éminemment politique. En engageant ce dialogue, tant Damas que le gouvernement libanais tentent de consolider la récente détente amorcée après la chute du régime de Bachar el-Assad, en décembre 2024, et à l’arrivée au pouvoir du président Ahmad el-Chareh. Les nouveaux dirigeants syriens cherchent à restaurer leur légitimité régionale, tandis que Beyrouth espère en retour des avancées tangibles sur plusieurs dossiers sensibles: la démarcation des frontières, le retour des réfugiés et le sort des Libanais disparus en Syrie – dont le nombre estg estimé à 17.000, selon des sources officielles.
Autant de dossiers qui constituent un premier test de la volonté du nouveau pouvoir syrien de tourner la page du passé. Mais si la réussite de cette entreprise dépendra de la manière dont elle sera mise en œuvre, toute tentative de manipulation ou de récupération politique pourrait ruiner les efforts entrepris et raviver les méfiances d’hier.
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