
Malgré le revers militaire cuisant qu’a subi l’axe pro-iranien dans sa guerre contre Israël, et en dépit des sanctions qui lui sont imposées, le Hezbollah continuerait de recevoir 60 millions de dollars par mois, transférés depuis l’Iran. En tout cas, c'est ce qu’a affirmé l’émissaire américain Tom Barrack, le 22 septembre, lors d’un entretien accordé à Sky News. Dans ce contexte, une mission du Trésor américain s’est récemment rendue à Beyrouth pour vérifier comment sont mises en œuvre les sanctions censées freiner le financement du Hezb.
Cette situation soulève une question plus large: qu’est-ce qu’une sanction, comment fonctionne-t-elle et, surtout, pourquoi certains pays ou entités parviennent-ils à les contourner avec autant d’aisance? Entre typologies, mécanismes d’application et stratégies d’évitement, il est temps de revenir sur ce levier central de la politique internationale dont l’efficacité semble de plus en plus remise en question.
La sanction au niveau international
Dans le langage diplomatique et juridique, une sanction désigne une mesure restrictive prise à l’encontre d’un État, d’un groupe ou d’un individu, dans le but de modifier un comportement jugé dangereux ou illégal. Elle peut être décidée par des instances multilatérales comme le Conseil de sécurité des Nations unies, par des organisations régionales comme l’Union européenne, ou encore de manière unilatérale par des États comme les États-Unis.
Contrairement à une idée reçue, les sanctions ne visent pas toujours à punir. Leur objectif peut être préventif (empêcher une action), coercitif (forcer un changement) ou symbolique (envoyer un message politique). Dans tous les cas, elles s’appuient sur une base légale, souvent liée à la violation du droit international, à des atteintes aux droits humains ou à des menaces contre la sécurité régionale ou mondiale.
Typologies et cibles
Les sanctions peuvent prendre diverses formes selon les cas.
Les plus connues sont les sanctions financières, qui consistent à geler les avoirs de certains individus ou entités, ou encore à interdire toute transaction avec eux. C’est le cas, par exemple, de banques russes ou d’oligarques proches du Kremlin, dont les avoirs confisqués à l’étranger depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022 atteignent environ 300 milliards de dollars, principalement placés en Europe.
Il existe aussi des sanctions commerciales, sous forme d’embargos sur certains produits stratégiques, tels que les armes, les technologies à double usage ou le pétrole. Parmi les exemples les plus emblématiques figure l’embargo américain sur les armes à destination de l’Iran, en place depuis la révolution de 1979. Autre cas de figure: les restrictions sévères imposées par Donald Trump sur les semi-conducteurs à destination de la Chine, dans un contexte de bras-de-fer technologique entre Pékin et Washington.
Par ailleurs, des interdictions de voyage peuvent viser des personnalités politiques, militaires ou économiques. Plus globales, les sanctions sectorielles visent des pans entiers de l’économie d’un pays – énergie, finance, transport – pour en affaiblir les capacités. Enfin, des sanctions diplomatiques peuvent aller jusqu’à la rupture des relations officielles.
Dans tous les cas, les sanctions sont présentées comme «ciblées», afin d’éviter des effets collatéraux sur les populations civiles. Mais leur efficacité dépend moins de leur forme que de leur exécution et de leur contournement possible.
Circuits indirects et pays relais
L’exemple du financement du Hezbollah malgré les sanctions, cité plus haut, montre bien les limites du système.
L’utilisation de sociétés écrans et de prête-noms est l’une des méthodes les plus répandues. Elle permet de dissimuler l'identité réelle du bénéficiaire. Les produits sous embargo peuvent aussi transiter par des pays tiers, où ils sont réétiquetés ou réexpédiés, brouillant leur origine. Les transactions passent parfois par des banques peu transparentes, en dehors des circuits occidentaux, ou par des crypto-monnaies et des systèmes alternatifs.
Par ailleurs, des pays comme la Russie, l’Iran ou le Venezuela exportent une grande partie de leur énergie via les flottes fantômes: un réseau de navires souvent vieux, non immatriculés, sans assurance, qui changent de pavillon et coupent leur système automatique d’identification (AIS) pour se mettre hors de la portée des radars. Le pétrole est souvent transféré en pleine mer d’un bateau à l’autre. Selon Bloomberg, ces navires invisibles auraient rapporté à l’Iran près de 20 milliards de dollars en 2024.
Tous ces circuits sont difficiles à surveiller, d’autant que certains pays y trouvent un intérêt: revenus de transit, commissions bancaires, poids diplomatique auprès des puissances sanctionnées…
Ainsi, le contournement peut être économiquement ou politiquement rentable, mais non sans risque pour le pays réceptif, surtout quand il est membre de l’ONU. Également, il arrive que des États jugent illégitimes certaines sanctions, notamment lorsqu’elles sont imposées de manière unilatérale par les États-Unis. Ces pays choisissent alors de ne pas les appliquer strictement, voire de les ignorer discrètement.
Des ripostes précises, rarement infaillibles
Face aux tentatives de contournement des sanctions, les États et les organisations cherchent à durcir leurs mesures. Cela passe par la mise en place de sanctions dites secondaires, qui visent non seulement les entités initialement sanctionnées, mais aussi celles qui les aident, y compris dans des pays tiers.
Cette logique d’extension est particulièrement utilisée par les États-Unis, qui menacent de couper l’accès au dollar ou au système bancaire américain SWIFT à toute banque coopérant avec des entités sanctionnées.
Les États coordonnent leurs sanctions via des forums comme l’ONU, le G7, ou des coalitions ad hoc, afin d’harmoniser les mesures et de limiter les dérogations. Des comités ou panels d’experts assurent parfois le suivi pour contrôler l’application de ces mesures et formuler des recommandations. En parallèle, les échanges d’informations entre agences nationales (renseignement, finances) renforcent la coordination et la détection des violations.
Malgré ces efforts, aucune sanction n’est totalement étanche. Dans un système globalisé, avec des dizaines de juridictions, des systèmes politiques et des outils de contrôle différents, les failles existent et sont souvent exploitées.
Le cas de Téhéran et de ses alliés montre que les sanctions, même lourdes et coordonnées, ne suffisent pas à interrompre complètement les flux financiers ou logistiques. Elles restent un instrument indispensable de la diplomatie moderne, mais leur succès repose sur la pression politique, l’exécution technique et la coopération internationale. Dans certains cas, une intervention militaire n’est pas à écarter. En matière de sanctions, la réalité du terrain dépasse souvent l’intention juridique.
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