Les dossiers brûlants au cœur de la visite syrienne à Beyrouth
©Ici Beyrouth

Le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad el-Chaïbani, effectue ce vendredi sa première visite officielle à Beyrouth depuis la chute du régime de Bachar el-Assad.

Cette visite, longtemps reportée, marque une étape symbolique dans le lent rétablissement des relations entre le Liban et la Syrie après une décennie de rupture et de méfiance. Elle a été précédée par plusieurs missions techniques de responsables syriens des ministères de la Justice et des Affaires étrangères, venus explorer les conditions d’un rapprochement progressif.

L’ordre du jour de la visite comprend plusieurs dossiers, dont la situation des prisonniers syriens détenus au Liban, la démarcation des frontières, la coopération sécuritaire et les relations diplomatiques. M. Chaïbani devrait en discuter avec les autorités libanaises.

Les détenus syriens, cœur du contentieux

Selon des médias libanais, la Syrie souhaite la libération immédiate de tous les détenus syriens incarcérés au Liban, y compris ceux arrêtés pour appartenance à l’Armée syrienne libre ou à d’autres groupes de l’opposition.

Beyrouth a opposé une approche plus nuancée, divisant les prisonniers en trois catégories: les condamnés pour crimes graves, notamment des attaques contre l’armée libanaise, ceux poursuivis pour délits mineurs, et ceux détenus sans jugement. Le Liban propose de libérer les seconds, d’accélérer les procès des troisièmes et de revoir au cas par cas les condamnations les plus lourdes, à condition qu’elles n’impliquent pas de crimes contre les forces armées. Une convention judiciaire bilatérale est en préparation: elle permettrait à certains détenus de purger leur peine en Syrie sous supervision conjointe.

Damas, de son côté, juge cette approche trop restrictive. Elle réclame la libération sans conditions des détenus pour des raisons politiques, estimant que «les faits ont changé» depuis la chute du régime de Bachar el-Assad et que ces prisonniers ne peuvent plus être assimilés à des terroristes.

Frontières et contrebande

Le dossier frontalier, lui aussi, reste un sujet sensible. La Syrie réclame le retrait de l’armée libanaise de plusieurs points de la frontière qu’elle considère comme des empiètements datant des combats d’Ersal en 2014. Parallèlement, le Liban affirme que les positions actuelles se trouvent intégralement sur son territoire.

Des sources diplomatiques citées par Al Markazia rapportent, à cet égard, que l’Arabie saoudite s’emploie à jouer les médiateurs entre les deux capitales, cherchant à donner une impulsion politique à un accord de démarcation globale. Les échanges se poursuivent par le biais d’une salle d’opération militaire conjointe, mais la signature d’un protocole officiel dépendra d’un feu vert politique des deux présidents.

Les réfugiés, une pression intenable

Avec près de deux millions de Syriens – migrants économiques, déplacés ou réfugiés – dont environ 750.000 enregistrés officiellement, le Liban reste le pays le plus exposé au monde à la pression migratoire, en proportion de sa population. Les arrivées ne se sont pas taries: rien qu’en mars 2025, 21.000 Syriens alaouites ont trouvé refuge dans le nord du Liban après les violences à Soueida et sur la côte syrienne, exacerbant les tensions confessionnelles dans des zones sunnites comme Tripoli et Akkar.

Beyrouth considère le dossier comme une urgence nationale, alors que Damas évoque des retours «graduels et sécurisés», rejetant toute réintégration massive qui fragiliserait encore son équilibre interne.

Les dépôts bancaires, entre reconstruction et faillite

Autre point de friction: les avoirs syriens bloqués dans les banques libanaises. Damas évoque des «dizaines de milliards» de dollars, tandis que des estimations libanaises ramènent ce chiffre entre 3 et 10 milliards.

Pour la Syrie, ces fonds constituent un levier essentiel pour sa reconstruction. Pour le Liban, ils ne peuvent être libérés qu’à travers une réforme financière globale, ce qui rend toute avancée à court terme illusoire.

Le Hezbollah, d’allié à fardeau

L’un des changements majeurs de l’ère post-Assad est la redéfinition du rapport entre Damas et le Hezbollah. Jadis allié stratégique du régime, le mouvement pro-iranien est désormais perçu par le président par intérim, Ahmad el-Chareh, comme un héritage encombrant d’une époque révolue.

«Nous avons renoncé aux blessures que le Hezbollah a causées à la Syrie», a-t-il déclaré en août dernier, tout en soulignant que Damas ne souhaitait pas être instrumentalisé par ceux qui cherchent à régler leurs comptes avec la formaiton. «Nous ne sommes ni une menace existentielle, ni une carte à jouer contre le Hezbollah», a-t-il ajouté.

Fin d’un cycle, début d’un cadre d’État à État?

La visite de M. Chaïbani intervient alors que Damas a informé Beyrouth, via son ambassade, que tous les échanges bilatéraux devront désormais se faire exclusivement par les canaux diplomatiques officiels, annonçant de facto la suspension du Conseil supérieur libano-syrien, créé en 1991 pour institutionnaliser les liens entre les deux pays.

Par ce geste, Damas met fin à l’un des symboles de l’ère Assad et affirme sa volonté de redéfinir la relation avec le Liban sur des bases diplomatiques et étatiques, rompant avec les réseaux d’influence et les arrangements sécuritaires du passé.

Un geste hautement symbolique qui clôt un chapitre de dépendance et ouvre, peut-être, celui d’un véritable dialogue d’égal à égal entre Beyrouth et Damas.

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