
Un an après la guerre de septembre 2024, le Liban-Sud ploie sous une blessure profonde et vit au ralenti. Meurtrie par les frappes et les déplacements, la région subit un double fléau: l’effondrement brutal de son économie et la désagrégation silencieuse de son tissu social. Derrière les façades détruites et les rideaux baissés des souks, c’est tout un mode de vie qui vacille, à la veille d’un hiver qui s’annonce implacable.
Le commerce à l’agonie
Dans les bourgs de Marjayoun, Hasbaya ou Nabatieh, les rues commerçantes ont perdu leur âme. Le petit commerce, vital pour l’économie locale, agonise. Les stocks sont épuisés, les fournisseurs ne livrent plus, et la clientèle, laminée par l’inflation, se limite au strict nécessaire.
«La guerre m’a tout pris. Mon stock a brûlé, mes fournisseurs ne livrent plus. Les rares clients qui entrent demandent des prix que je ne peux pas baisser», raconte Abou Ramy, quincaillier à Marjayoun, devant ses étagères vides.
À Nabatieh, près de 60% des commerces ont fermé ou ne fonctionnent qu’au ralenti. «Avant la guerre, je recevais des clients de Bint Jbeil, parfois même des expatriés. Aujourd’hui, mes ventes ont chuté de plus de 70%», confie Ghassan, propriétaire d’une boutique de chaussures.
Les souks hebdomadaires, jadis effervescents, ressemblent désormais à des rues fantômes. À Souk el-Khan, dans le casa de Hasbaya, il ne reste que quelques étals esseulés. La peur des frappes sporadiques continue de dissuader les familles de se déplacer, paralysant davantage une économie déjà exsangue.
Le piège de la pauvreté quotidienne
Les revenus se sont effondrés, ne dépassant souvent pas 15 à 20 dollars par jour. «Avec ce que je gagne, je ne peux même pas acheter le nécessaire pour mes enfants. Et pour l’hiver, je ne sais pas comment les protéger du froid», explique Ali, déplacé de Kfar Kila.
Le prix des denrées alimentaires a triplé depuis le début de la guerre. «Un sac de riz ou de sucre me coûte désormais trois fois plus cher qu’avant. Comment tenir?», soupire Zeinab, mère de quatre enfants réfugiée à Marjeyoun.
Face à cette spirale, beaucoup cumulent de petits boulots pour survivre. L’économie du Liban-Sud n’est plus un moteur: elle est devenue un combat quotidien pour la survie.
Relance économique en panne: entre promesses et contrôle partisan
La lenteur de la reconstruction ne s’explique pas seulement par l’ampleur des destructions. Elle découle aussi d’un système verrouillé, où la gestion des aides et des chantiers est monopolisée par le Hezbollah, au détriment d’une véritable relance.
Selon la Banque mondiale, les besoins de reconstruction du Liban sont estimés à 11 milliards de dollars. Mais l’État, paralysé par la crise, n’a pas tenu ses engagements: recettes publiques en berne, aides bloquées, infrastructures laissées à l’abandon.
Dans ce vide institutionnel, le Hezbollah a imposé son propre réseau de reconstruction via Jihad al-Bina, sa branche «civile». Officiellement, la milice comble soi-disant les manquements de l’État. En réalité, il renforce son emprise sur la population du sud: l’aide est distribuée selon des critères d’allégeance, les priorités sont politiques, et les zones jugées «non loyales» restent marginalisées.
«Si tu n’es pas dans le bon réseau, tu n’as rien», résume Fouad, charpentier de Khiam, désormais sans atelier. D’autres habitants décrivent une aide conditionnée, opaque, dépendante de l’approbation des responsables locaux du parti.
Même à l’intérieur de son propre bastion, le Hezbollah peine à répondre à l’ampleur du désastre: retards de paiements, montants symboliques et absence d’une vision économique globale. La reconstruction n’a pas seulement ralenti – elle a été instrumentalisée.
Le tissu social en lambeaux
La blessure la plus profonde n’est pas visible: c’est celle du lien social brisé. L’exode rural massif a vidé les villages de leurs habitants, dispersant les familles entre Saïda, Beyrouth et l’étranger. Mariages, récoltes, funérailles – ces traditions qui cimentaient la vie villageoise – s’effacent peu à peu.
«C’est comme si notre identité s’était dissoute», confie Abou Fadi, instituteur à Taybeh. «Quand je suis revenue voir notre maison détruite, j’ai compris que ce n’était plus possible de revivre là-bas», raconte Nour, mère de deux enfants.
Les villages vieillissent, les écoles se vident, et la jeunesse fuit vers les grandes villes ou l’étranger. Les terres agricoles sont laissées en friche, les récoltes abandonnées. «Avant, tout le monde participait aux récoltes d’olives ou de tabac. Maintenant, chacun se débrouille seul, isolé», se souvient Melhem, déplacé de Houla.
Une terre sans horizon
Pour les jeunes générations, l’avenir ne se conjugue plus au sud. Samer, originaire d’Ebel el-Saqi, vient d’obtenir un visa pour le Canada. «Le sud est magnifique, c’est notre terre, mais sans horizon professionnel. Je ne pars pas par envie, mais par nécessité», confie-t-il.
Cet exode accélère une transformation silencieuse: l’effacement d’une mémoire collective et d’un mode de vie séculaire. À long terme, certaines localités frontalières risquent de devenir des zones fantômes, où la nostalgie des jours passés se mêle à une résignation amère.
Un sud suspendu entre survie et oubli
Un an après la guerre, le Liban-Sud vit dans un entre-deux: la peur d’un retour des hostilités et l’urgence d’un quotidien miné par la pauvreté. Villages vidés, commerces morts, familles déracinées – autant de visages d’une société au bord de l’implosion.
Fragile mais résilient, le sud survit encore. La nostalgie nourrit l’endurance de ses habitants, qui s’accrochent à l’idée d’un retour. Mais une question, lancinante, demeure: pour combien de temps encore?
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