Conditions et structures de détention des mineurs au Liban: de Roumieh à Ouarouar
©JOSEPH BARRAK / AFP

Ils ont généralement entre 12 et 18 ans. Certains sont arrêtés pour un vol de téléphone ou un simple vagabondage, d’autres pour des faits plus graves liés à la criminalité organisée ou à des accusations de portant sur la sécurité.

Longtemps, ces enfants ont partagé le quotidien des adultes à Roumieh, la prison la plus surpeuplée du Liban, entassés dans un bloc qui leur était réservé au cœur d’un univers carcéral conçu pour des hommes. Depuis mai 2025, leur sort a changé. Les mineurs incarcérés ont été transférés vers le nouveau centre de réhabilitation de Ouarouar, à Baabda, une structure pensée spécifiquement pour eux conformément aux normes et régulations internationales, comme l’explique le colonel Joseph Moussallem, chargé des relations publiques au sein des Forces de sécurité intérieure (FSI), interrogé par Ici Beyrouth.

Cependant, si ce déménagement – attendu depuis plus de vingt ans, le projet ayant été lancé en 1999 –, marque un tournant, il ne règle pas toutes les contradictions d’un système judiciaire qui peine à concilier punition et réinsertion. La preuve: quelques mois seulement après son ouverture, le 29 septembre dernier, un mineur s’y est suicidé, rappelant que la dimension psychologique et le suivi médical demeurent insuffisants. Un drame qui souligne la nécessité d’un accompagnement constant, au-delà de l’architecture et des équipements.

Pourtant, le cadre légal existe depuis plus de vingt ans. La loi 422, adoptée en 2002, établit un régime spécifique pour les mineurs en conflit avec la loi. Elle privilégie les mesures éducatives aux peines de prison, prévoit la création de juridictions spécialisées, un accompagnement psychosocial et des alternatives comme le placement éducatif ou la mise sous supervision. Mais, dans la pratique, ces mécanismes sont rarement appliqués. Les juges recourent encore largement à la détention provisoire, les tribunaux militaires sont parfois été saisis d’affaires impliquant des mineurs et les services sociaux manquent cruellement de moyens.

Il faut dire que le problème de fond dépasse le seul cas des mineurs. Le Liban reste régi par un décret de 1949 qui place les prisons sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, alors qu’une réforme votée en 2012 – mais jamais appliquée – prévoit leur transfert au ministère de la Justice. Cette ambiguïté entretient une confusion des responsabilités, aggravant l’inaction et le manque de vision globale.

En outre, les critères de triage, tels que définis par la loi de 1949, ne sont pas respectés: les prisonniers ne sont effectivement pas «classés» selon la durée de la peine, la nature de l’infraction, ni leur niveau intellectuel et moral, comme cela devrait être le cas. Résultats, les détenus passent leur temps à ruminer des idées noires et à nourrir une rancune aveugle, dans un climat où la récidive devient presque inévitable.

La justice au ralenti

À ces défaillances s’ajoutent les retards chroniques de la justice. Les mineurs souffrent particulièrement de la lenteur des tribunaux.

Trois facteurs principaux expliquent ces délais: le manque de fourgons cellulaires pour assurer les transferts vers les audiences, la pénurie de magistrats face à l’explosion du nombre de dossiers – accentuée par la crise syrienne – et les stratégies de prisonniers qui cherchent à éviter certains juges réputés sévères en multipliant les absences ou en invoquant des maladies. Les rigidités procédurales, comme l’obligation de notifier tous les accusés avant d’ouvrir un dossier, ajoutent encore aux retards.

Conditions de détention et procédures judiciaires

En mai dernier, soit à l’ouverture du nouveau centre de réhabilitation de Ouarouar, 90 mineurs détenus avaient été transférés de Roumieh. Aujourd’hui, les chiffres officiels évoquent un peu plus d’une centaine. Ce nombre peut sembler faible au regard la population carcérale globale, mais il met en lumière des fragilités majeures: un âge de responsabilité pénale extrêmement bas, fixé à sept ans (avec des régimes et des effets juridiques différenciés selon les tranches 7–12, 12–15, 15–18 ans), des procédures judiciaires lentes et un recours massif à la détention provisoire. Beaucoup de ces enfants attendent des mois, parfois plus d’un an, avant d’être jugés.

Théoriquement, le procès d’un mineur doit se dérouler devant des juridictions spécialisées, dans un cadre garantissant la présence d’un représentant légal et l’assistance d’un avocat. Dans la pratique, ces garanties sont loin d’être systématiques. La détention provisoire reste la règle, alors qu’elle devrait être l’exception.

Quant à l’état des lieux des geôles, il faut rappeler qu’à Roumieh, les mineurs s’entassaient dans des dortoirs collectifs, souvent privés d’air, de lumière et d’intimité. Certains dormaient à même le sol, séparés par des morceaux de carton, dans un environnement marqué par la violence et le risque permanent de contact avec des adultes. La promiscuité et l’absence d’activités éducatives rendaient toute réinsertion illusoire.

À Ouarouar, le décor est désormais radicalement différent: un bâtiment lumineux, des salles de classe, des ateliers de formation professionnelle, un suivi psychosocial et des espaces de loisirs. Le centre, financé par l’Union européenne et soutenu par les Nations unies, peut accueillir entre 100 et 150 jeunes et a été conçu comme une véritable alternative à la prison de Roumieh. Pour la première fois, des mineurs incarcérés au Liban vivent dans une structure pensée pour leur âge et leurs besoins.

Reste à savoir si la porte qui leur a été ouverte pourra réellement prendre tout son sens en se transformant en politique nationale, durable et équitable, afin que l’avenir de ces jeunes ne se joue plus derrière des barreaux.

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