Jafar Panahi défie la censure iranienne après sa Palme
Le réalisateur iranien Jafar Panahi. ©Miguel MEDINA / AFP

Quatre mois après sa Palme d'or à Cannes, le cinéaste iranien Jafar Panahi reste déterminé à tourner librement malgré les pressions du régime. Il prépare un film sur la guerre tout en dénonçant la répression en Iran.

Quatre mois après sa Palme d'or à Cannes, le réalisateur iranien Jafar Panahi continue de défier la censure dans son pays, où il espère tourner un nouveau film sur la guerre, a-t-il dit lors d'une rencontre avec l'AFP à Paris.
Son film Un simple accident, qui sort mercredi en salles en France, raconte l'histoire de cinq Iraniens confrontant un homme qui pourrait être leur ancien geôlier. Une charge contre l'arbitraire et les autorités de Téhéran.

Pouvez-vous nous décrire votre vie en Iran depuis la Palme d'or?

À mon arrivée à l’aéroport de Téhéran après le festival, des collègues réalisateurs, mais aussi des familles de prisonniers politiques et des personnes ordinaires sont venues m'accueillir.
En revanche, le gouvernement a essayé de dire que c'était un film sans valeur et que ce n'est qu'à cause des pressions exercées par des agences de renseignement comme la CIA que le festival lui a décerné un prix. C'est généralement ce qu'ils pensent de tout film qui n'a pas été soumis à la censure.

Avez-vous été inquiété?

Pas jusqu'à aujourd'hui.

Comment l'expliquez-vous alors que votre film est très critique?

Que voulez-vous qu'ils fassent? Qu'on m'interdise de sortir du pays? Ou qu'on me remette en prison (il a été incarcéré sept mois entre 2022 et 2023 et 86 jours en 2010, ndlr)? Tout ça a des limites. S'ils pouvaient faire quelque chose, ils l'auraient déjà fait.
Ils m'ont interdit de travailler et ça n'a pas eu d’effet. Ils peuvent refaire la même chose, qu'est-ce qui va se passer?
J'ai 65 ans, je n'ai jamais écouté la censure, ce n'est pas maintenant que je vais commencer à le faire.

Travaillez-vous sur un nouveau film?

Je travaille perpétuellement sur des films. Malheureusement, cette fois-ci, c'est plus compliqué. Quand je ne sortais pas d'Iran (il a été interdit de quitter le territoire pendant 15 ans), je pouvais repartir sur un nouveau film dès que j'avais fini le précédent.
Aujourd'hui, j’ai tous les jours des choses à faire. La semaine dernière, j'étais en Corée, après je suis parti en Espagne, d'Espagne je suis venu ici... Parfois, pendant 30 heures, je ne dors pas. Ça ne me permet pas de repartir sur un nouveau film à tête reposée.
Mais il y a quelque chose que je voudrais absolument faire, ça fait cinq ans que je cours derrière pour le réaliser. Le scénario est prêt, ça parle de la guerre.
On ne m'a pas laissé aller jusqu'au bout, car il fallait des moyens pour ce film. Je reviens sur ce sujet, je fais des réécritures, surtout en ces temps où l'odeur de la guerre se fait sentir partout. Je pense que le monde demande ce genre de film.

Un simple accident s'inspire de vos passages en prison. Y avez-vous subi des tortures?

Je n'ai pas été torturé physiquement. Mais quand vous vous trouvez dans une chambre de trois mètres sur quatre, à deux ou trois, que vous restez comme cela deux ou trois mois, cela a de l'influence sur votre moral.
Dès que vous voulez aller aux toilettes, vous avez les yeux bandés. La torture n’est pas uniquement physique. Le pire, ce sont les tortures psychologiques. Mais d'autres ont été torturés physiquement.
Ma situation est différente. Un prisonnier ordinaire, s'il fait la grève de la faim pendant un mois, personne n’est au courant. Mais moi, au bout de deux jours, le monde entier est au courant.

Votre souhait de continuer de travailler en Iran demande un certain courage...

Je suis visible, donc on porte l'attention sur moi. Mais d'autres font beaucoup plus de choses. Il y a des gens importants dans les prisons avec des condamnations de très longue durée.
Moi, ça ne compte pas ce que j'ai fait. Ce n'est rien. Des personnes sont en prison pendant 10 ou 15 ans. Une personne ayant travaillé sur mon film et dont le nom est au générique a passé un quart de sa vie en prison, il a 48 ans.
Les choses importantes, finalement, ce sont eux qui les font. Malheureusement, ils sont inconnus.

Par Antoine GUY / AFP (Entretien traduit du farsi).

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