Quand la mode ressuscite les chefs-d’œuvre
Sur les podiums, la mode réinvente les chefs-d’œuvre de l’art. ©Ici Beyrouth

Durant la Fashion Week, les défilés, loin d’être de simples vitrines de tendances, se transforment en de véritables galeries vivantes où les créateurs réinventent les plus grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. 

La Fashion Week n’est plus seulement ce rendez-vous où les nouvelles silhouettes s’imposent, mais un théâtre où l’art dialogue étroitement avec le vêtement, où chaque collection devient tout un programme. À chaque saison, sur les podiums de Paris, Milan, Londres ou New York, les références artistiques se multiplient. La mode s’empare des grands maîtres, convoque les icônes de la peinture, de la sculpture ou de l’architecture, et fait revivre sur tissu ce que les musées protègent sous verre. C’est, en quelque sorte, un jeu de miroirs, une façon pour les stylistes de s’inspirer directement des artistes.

Ce phénomène n’a rien d’un hasard. La mode, art du temps présent, a toujours puisé dans les formes et les couleurs du passé pour inventer le futur. Mais en 2025, ce mouvement semble s’être renforcé. L’époque aspire à renouer avec une certaine forme de beauté, de mémoire, ou même d’admiration pour le talent des créateurs d’hier. Sur les podiums, les références picturales sont devenues plus visibles et assumées: les tissus évoquent des tableaux, les formes rappellent des sculptures, et certains défilés ressemblent à des expositions où se croisent Botticelli, Klimt, Frida Kahlo ou Mondrian.

Parmi les exemples marquants des saisons passées, la collection printemps-été 2020 de Moschino reste une référence: Jeremy Scott avait littéralement transformé ses mannequins en toiles cubistes, robes en trompe-l’œil, traits de pinceau oversize, chapeaux-cadres, rappelant Picasso ou Braque. Chez Dior, Maria Grazia Chiuri a régulièrement exploré le lien entre héritage artistique et féminité, s’inspirant parfois d’univers surréalistes, où la femme devient un tableau vivant.

Beauté en héritage

Lors de la Fashion Week de septembre 2025, plusieurs maisons ont franchi un pas supplémentaire en assumant des filiations plus directes avec l’art contemporain. À Milan, Fendi a proposé des compositions mêlant motifs floraux et géométriques dans un esprit proche du modernisme. À Londres, Roksanda a explicitement revendiqué l’influence de la sculptrice Phyllida Barlow, avec des robes aux volumes instables et drapés inventifs, véritables hommages à l’avant-garde. À Paris, la maison Issey Miyake a présenté des silhouettes qualifiées de «sculptures vestimentaires», dans une continuité de son exploration des formes, bien que la référence précise à Erwin Wurm relève davantage d’une analogie critique que d’une citation officielle.

Les clins d’œil impressionnistes se sont également multipliés, notamment chez Louis Vuitton, où des motifs brossés rappelaient la lumière de Monet. Schiaparelli, fidèle à l’esprit d’Elsa et à ses célèbres dialogues avec Dalí, a réactivé le surréalisme à travers des accessoires et volumes extravagants. Iris Van Herpen, connue pour ses expérimentations sculpturales, a une nouvelle fois séduit la critique avec des drapés futuristes et des jeux d’ombres évoquant la statuaire, sans forcément se limiter à l’Antiquité grecque.

Chez Loewe, la collection a directement dialogué avec le travail textile de Josef et Anni Albers, confirmant une volonté de placer l’art au cœur de la couture. Erdem, quant à lui, a poursuivi ses recherches autour de motifs peints, que certains observateurs rapprochent de l’expressionnisme.

Cette effervescence artistique dépasse le simple effet décoratif. Il ne s’agit plus seulement d’orner une robe de citations visuelles, mais d’assumer une filiation, voire d’inviter le spectateur à relire l’histoire de l’art à travers le vêtement. Dans un monde traversé par l’incertitude, l’art devient une valeur refuge, une mémoire partagée.

Ce jeu n’est cependant pas exempt d’ambiguïtés. Hommage sincère pour les uns, recyclage commercial pour les autres, la frontière reste mince. Quand Dolce & Gabbana imprime des fresques italiennes sur des bustiers, ou quand Rodarte transpose les tournesols de Van Gogh en robes vaporeuses, la démarche interroge: simple ornement ou véritable tentative de transmettre une émotion?

Quoi qu’il en soit, ces emprunts visuels offrent à la mode un supplément d’âme. L’étoffe devient mémoire, le défilé se fait musée ambulant, et la création s’inscrit dans une lignée. Pour le public, c’est l’occasion de redécouvrir les grands maîtres sous un jour inattendu, et de ressentir, le temps d’un défilé, cette singulière émotion du passé qui se mêle au présent.

 

 

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