Les poupées Labubu, créations de collection au succès planétaire, sont au cœur d’une rumeur virale: seraient-elles inspirées du démon Pazuzu? Entre fascination, peur et folklore, retour sur un phénomène où la culture pop flirte avec la mythologie.
Depuis quelques mois, les réseaux sociaux s’enflamment autour d’une étrange rumeur: les célèbres poupées Labubu, stars de la pop culture asiatique, seraient en réalité modelées sur Pazuzu, un démon venu de la nuit des temps mésopotamienne. Ce bruit, à la croisée du sensationnalisme et de l’imaginaire, a déclenché une vague d’inquiétude et de fascination chez les fans, les collectionneurs et bien au-delà. Mais que sait-on vraiment? Comment une simple figurine «mignonne et étrange» s’est-elle retrouvée associée à une créature mythologique démoniaque? Tentative de décryptage d’une panique aussi moderne que révélatrice.
Pour comprendre l’affaire, il faut revenir à l’origine de Labubu. Cette créature à grandes oreilles, sourire espiègle, dents pointues et silhouette reconnaissable, a été imaginée par l’illustrateur hongkongais Kasing Lung. D’abord personnage dans des albums pour enfants, Labubu est ensuite devenu une figurine à collectionner, diffusée en «blind box» par la société Pop Mart. L’esthétique de Labubu cultive une part d’étrangeté: mi-elfe, mi-monstre, inspiré à la fois par les contes nordiques et la tradition du kawaii («mignon» japonais).
Le phénomène explose à partir de 2020. Les réseaux sociaux asiatiques, puis mondiaux, s’emparent de Labubu: vidéos d’unboxing, échanges entre collectionneurs, concours de rareté et premiers détournements. La figurine s’installe partout, entre pop culture, déco, mode et réseaux d’influence. Le marché secondaire flambe : certaines éditions spéciales atteignent des sommes folles.
L’ombre de Pazuzu
À l’été 2025, une rumeur virale explose sur les réseaux: Labubu serait inspiré par Pazuzu, célèbre démon sumérien-akkadien, rendu célèbre en Occident par le film L’Exorciste. Pazuzu, esprit du vent, est représenté dans l’art antique avec une tête disproportionnée, de grands yeux et une gueule grimaçante. Rapidement, des internautes comparent la silhouette de Labubu à celle des figurines mésopotamiennes, affirmant y voir un «héritage démoniaque».
La peur gagne certains fans. Des vidéos montrant des propriétaires «baptisant» leurs poupées pour chasser le mal se multiplient. D’autres collectionneurs brûlent ou jettent leurs Labubu par crainte d’une influence néfaste. Sur TikTok, des «experts autoproclamés» multiplient les analyses : symbolisme caché, présages, énergie négative… L’affaire prend une dimension presque mystique, alimentée par la puissance des réseaux et la fascination contemporaine pour les légendes urbaines.
Pourtant, il suffit d’un peu de recul pour constater l’absence totale de fondement historique ou artistique à cette rumeur. Ni Kasing Lung, le créateur de Labubu, ni Pop Mart n’ont jamais évoqué la moindre référence à Pazuzu. L’artiste cite plutôt des influences de folklore européen, l’esprit des monstres de contes et l’esthétique «étrange mais attachante» chère à Tim Burton ou Hayao Miyazaki. Le design de Labubu, bien que singulier, ne reprend ni la posture ni l’iconographie propre à Pazuzu, dont la statue antique est bien différente.
Des sites spécialisés comme Snopes ou Prestige Online ont analysé les images, les interviews et les documents disponibles: aucune preuve tangible ne relie Labubu à Pazuzu. L’histoire semble donc relever du pur fantasme collectif, gonflé par la viralité, l’angoisse du surnaturel et l’attirance pour les «objets maudits».
Pourquoi une telle panique autour d’une simple poupée? La réponse, sans doute, tient à la puissance de la pop culture et à la façon dont Internet mélange allègrement fiction, mythe et réalité. Le succès de Labubu a généré une fascination pour son côté «monstrueux», ses dents et son sourire «trop» expressif. En parallèle, la pop culture mondiale a recyclé des figures démoniaques comme Pazuzu, renforçant l’imaginaire du «jouet maléfique».
La «crise Labubu»
Ce n’est pas la première fois qu’un jouet ou un objet de collection devient le support de fantasmes ou de peurs collectives. Dans les années 1980-90, on accusait déjà les poupées Cabbage Patch Kids ou Furby de messages cachés ou d’influences occultes. Les réseaux sociaux accélèrent et mondialisent ces phénomènes, leur donnant une ampleur nouvelle.
La «crise Labubu» raconte autant notre rapport à l’imaginaire qu’aux médias. Derrière la panique se cache le désir de croire à l’invisible, de s’inventer des légendes, de rejouer, à l’ère du numérique, les grands récits du surnaturel.
Labubu restera sans doute un jouet culte, ni démon, ni ange, mais pur produit de notre époque. Là où la pop culture et la mythologie se rencontrent et se répondent à coups de hashtags et de beaucoup d’imagination.

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