
Sous la houlette du gouverneur de la Banque du Liban (BDL), Karim Souhaid, la Banque centrale a dévoilé, vendredi, son premier rapport macroéconomique semestriel, dans une version «revisitée».
Dans un pays où les chiffres relèvent souvent de l’interprétation et où les données, notamment fiscales, se font rares ou imprécises, la BDL entend réaffirmer son rôle en redevenant «un point d’ancrage» pour les anticipations des investisseurs institutionnels et des marchés internationaux. Elle veut aussi offrir aux Libanais des repères clairs pour comprendre le pourquoi et le comment de sa politique monétaire à venir.
Le rapport s’appuie sur des données «constituées par la BDL elle-même», dépassant le simple recensement brut pour proposer des analyses fondées sur des méthodologies scientifiques.
L’institution tourne ainsi une page et affiche sa volonté d’une politique monétaire placée sous le signe de la transparence. Autrement dit, la BDL cherche à redéfinir son mandat et son champ d’action. «Les situations de rupture exigent des changements», confie une source proche de l’institution, avant de souligner que «la solution sera nécessairement collective». Un appel lancé aux autres acteurs du paysage financier.
La BDL promet enfin d’améliorer constamment son rapport, avec l’ambition d’en faire un outil «neutre, objectif et agnostique», selon les termes d’une autre source, mi-figue mi-raisin.
En voici les principaux points:
Perspective de croissance modeste
Selon le rapport macroéconomique biannuel de la Banque du Liban (juin 2025), l’économie libanaise montre les premiers signes de reprise au premier semestre 2025, après plusieurs années de crise aggravées par l’instabilité politique et un conflit armé en 2024. Cette reprise fragile repose sur la stabilisation politique récente, avec un nouveau président, un gouvernement formé et un gouverneur à la BDL, renforçant la confiance des marchés et le retour d’un fonctionnement normal des institutions.
Après une contraction de 6,4% en 2024, le PIB réel du Liban devrait retrouver une croissance modeste en 2025, soutenue par les progrès politiques, le tourisme et la consommation intérieure, selon la Banque du Liban.
Malgré ces signes encourageants, la reprise reste fragile dans un contexte international complexe: ralentissement de la croissance mondiale, pressions inflationnistes et dollar affaibli. Sur le plan régional, la guerre à Gaza, les attaques au Liban-Sud et la crise prolongée des réfugiés syriens continuent de peser sur la sécurité et les perspectives économiques.
«Les indicateurs nationaux restent prudents mais laissent entrevoir un optimisme conditionnel pour l’économie libanaise», relève le rapport.
Les indicateurs du secteur réel confirment cet optimisme prudent. L’indice composite d’activité économique de la BDL est redevenu positif au premier semestre 2025, reflétant une amélioration progressive du commerce et du tourisme.
Inflation sous-jacente toujours élevée
L’inflation globale est tombée à 15,0% en glissement annuel en juin 2025, contre 41,8% en juin 2024, soutenue par la stabilité du taux de change, une meilleure discipline budgétaire et un resserrement monétaire. Cependant, l’inflation sous-jacente reste élevée à 16,4%, indiquant que, si les pressions sur les prix importés se sont atténuées, les tensions internes persistent.
Autrement dit, la baisse de l’inflation globale est une bonne nouvelle à court terme, car elle reflète la stabilisation du marché et l’impact des politiques économiques. Parallèlement, la persistance de l’inflation sous-jacente indique que la reprise économique reste fragile et que le coût de la vie pour les Libanais est encore élevé, malgré le contrôle des prix importés.
La BDL, un rôle central
Depuis 2019, le secteur bancaire libanais est profondément fragilisé, avec une contraction de 40% des agences et une réduction de moitié (quasi-halving) de l’emploi, tandis que «les canaux financiers non bancaires se sont fortement développés», selon le rapport. Dans ce contexte de crise et d’absence de plan de relance crédible, la Banque du Liban a joué un rôle central. Elle a protégé les droits des déposants, maintenu la stabilité du secteur bancaire et atténué la volatilité du taux de change. Pour renforcer la liquidité et la solvabilité, la BDL a émis plusieurs circulaires (154, 158, 166) permettant des retraits progressifs de dépôts en dollars, apportant environ 4,2 milliards de dollars de nouveaux dépôts et un soulagement temporaire aux déposants, «même si ces mesures ne remplacent pas une restructuration complète», lit-on dans le rapport semestriel de la BDL.
Entre juin 2019 et juin 2025, le bilan des banques commerciales a chuté de près de 60%, les créances sur la clientèle tombant à 5,5 milliards de dollars, tandis que les nouveaux crédits ne s’élevaient qu’à 553 millions de dollars, illustrant le rôle d’intermédiation fortement contraint des banques. Les nouveaux dépôts ont atteint 4,4 milliards de dollars fin juin et sont restés entièrement provisionnés selon la circulaire 150 de la Banque du Liban, apportant un soutien limité à la croissance du crédit.
Déficit du compte courant en baisse
En 2024, le déficit du compte courant du Liban s’est légèrement réduit à 5,6 milliards de dollars, grâce à la compression des importations, tandis que les transferts de la diaspora, 5 milliards de dollars, ont allégé les pressions financières tout en accentuant la dépendance du pays à ces flux.
Les réserves de change de la BDL, hors or, ont atteint 11,3 milliards de dollars à la mi-2025, soutenues par l’arrêt des interventions coûteuses en devises, la fin des subventions et du financement direct du gouvernement. Les réserves d’or ont bondi de 41%, à 30,28 milliards de dollars, portées par la hausse des prix mondiaux.
Le Liban et le Gafi
Face au classement du Liban sur la liste grise du Gafi en octobre 2024, la BDL, en coordination avec la Commission spéciale d’enquête, a renforcé les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FT), restauré la confiance dans le système financier et aligné le pays sur les normes internationales.
Sur le plan législatif, le Parlement a réformé la loi sur le secret bancaire et avancé sur la restructuration bancaire ainsi que sur la «loi sur la stabilisation financière et le recouvrement des dépôts».
Selon le rapport macroéconomique de la Banque centrale, malgré des risques politiques et économiques toujours élevés, ces progrès institutionnels et législatifs laissent entrevoir «un tournant possible». Si ces efforts se poursuivent et s’accompagnent de réformes rapides, ils pourraient poser les bases «d’une reprise plus durable et inclusive».
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