Désarmement: à cœur vaillant rien n'est impossible…
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La décision politique est donc prise. Il devient maintenant impératif de passer à l’essentiel, loin du brouhaha médiatique suscité par le Hezbollah à des fins de consommation interne. C’est par les actions audacieuses sur le terrain qu’il faudra désormais évaluer la réelle détermination du pouvoir exécutif à concrétiser dans les faits le processus de désarmement de toutes les milices, libanaises et autres. La fermeté de l’État sur ce plan ne doit pas nécessairement s’exprimer par des positions en flèche ou une attitude fracassante, mais elle devrait plutôt se mesurer à l’acte.

Au cours des dernières semaines la faction locale télécommandée à partir de Téhéran par les Gardiens de la révolution islamique a multiplié les menaces, les manœuvres d’intimidation et les mises en garde belliqueuses pour tenter d’amener le gouvernement à renoncer au principe du monopole de la violence légitime. Les dirigeants des Pasdaran ont visiblement perçu dans la position de l’État libanais à cet égard une menace directe pesant sur le reliquat de leur influence dans la région. Ils ont donc intimé l’ordre à leur suppôt libanais de hausser crescendo le ton, de se livrer à toute sorte de menaces directes, de brandir le spectre de la discorde, des troubles confessionnels, voire de la guerre civile, sous le prétexte fallacieux de vouloir préserver l’armement d’une prétendue «résistance» qui n’a cessé de prouver au fil des ans son inefficacité en termes de réelles performances militaires en période de guerre.  

Peu importe, dans un tel contexte, si le Conseil des ministres a eu recours à une sémantique tordue, à un ton feutré et à une gymnastique linguistique «à la libanaise» pour annoncer (sans trop heurter les sentiments du Hezbollah) qu’il avait approuvé le plan de l’armée libanaise visant à éliminer toute présence milicienne dans le pays. Les milieux du parti pro-iranien ont vite fait de crier victoire. Mais les observateurs avertis n’ont pas encore oublié que le directoire du Hezb a une interprétation très élastique des notions de «victoire» et de «défaite». Il est passé maître dans l’art de transformer en «victoires divines» (illusoires) les défaites les plus humiliantes, comme ce fut le cas en 2006 et en 2024.

Mais là n’est pas l’essentiel. Nous sommes au Liban, plus spécifiquement en Orient, et dans cette partie du monde les mots n’ont pas le même poids qu’en Occident, comme le soulignait fort à propos un haut responsable politique levantin. Ce n’est donc pas sur base de tournures de phrases nébuleuses qu’il convient de jauger les intentions réelles du pouvoir et sa détermination à concrétiser réellement sa décision politique de désarmer toutes les milices.

Faut-il rappeler à cet égard que l’accord de Taëf, les résolutions onusiennes 1559, 1680 et 1701, ainsi que l’accord de cessez-le-feu de novembre dernier prévoient tous, explicitement, la dissolution de toutes les organisations armées non étatiques, ainsi que le rétablissement de la souveraineté de l’État sur l’ensemble du territoire national? Si ces résolutions et ces accords sont restés jusque-là lettre morte, c'est en raison de l’absence d’une volonté politique et d’une décision étatique de les mettre réellement en application par des actions concrètes et musclées sur le terrain.

Ce laxisme officiel n’avait d’ailleurs rien d’étonnant: tous les gouvernements qui se sont succédé depuis l’accord de Taëf de 1989 (à l’exception de la phase de la Révolution du Cèdre en 2005 et 2006) étaient soumis au diktat de l’ancien régime Assad, d’abord, puis du suppôt des Pasdaran, ensuite. C’est précisément à ce niveau que réside toute la différence avec le cas du pouvoir actuel… Le président Joseph Aoun et le gouvernement de Nawaf Salam ont en effet affiché dès le départ leur volonté politique – qu’ils ne cessent de réaffirmer – de désarmer toutes les milices, «y compris le Hezbollah». Ils sont soutenus sur ce plan, sans équivoque, par une écrasante majorité de Libanais et surtout par la communauté internationale dans son ensemble, plus précisément par les États-Unis, l’Union européenne, la Ligue arabe et le Conseil de coopération du Golfe.

La vigilance, le courage politique (surtout), la fermeté, «la main de fer dans un gant de velours» – pour reprendre l’expression attribuée à Jean-Baptiste Bernadotte, ancien roi de Suède – sont toutefois plus que jamais de mise. Et pour cause: l’aile radicale de la République islamique et, dans son sillage, le Hezbollah ne manqueront pas de faire feu de tout bois pour tenter de freiner, voire de remettre en question cette dynamique de mise en place du monopole de la violence légitime.

Un accompagnement soutenu et continu des grands décideurs occidentaux et arabes reste dans le contexte actuel nécessaire afin d’éviter que le pouvoir ne tombe dans le piège des atermoiements et du chantage sécuritaire auxquels a traditionnellement recours le camp iranien pour réaliser ce qu’il sait faire le mieux: gagner sans cesse du temps en donnant l’illusion trompeuse de «dialoguer» sans rien céder, en perpétuant indéfiniment un fait accompli milicien, une atmosphère guerrière dans le seul but de sauvegarder les intérêts géopolitiques du Corps des gardiens de la révolution islamique iranienne, jusqu’au dernier hezbollahi libanais.

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