
La puissante centrale syndicale tunisienne UGTT, considérée comme un pilier démocratique du pays, est la cible d'attaques inédites du président Kais Saied, auxquelles elle tente de réagir en mobilisant ses troupes et la société civile.
Auréolée du prix Nobel de la Paix en 2015 avec trois autres associations pour son rôle clé dans la transition démocratique après la révolution tunisienne de 2011, l'organisation a dénoncé une «tentative d'assaut» de son siège le 7 août par des partisans de M. Saïed.
Munis de pancartes l'accusant de «corruption» et «dilapidation de l'argent du peuple», plusieurs dizaines de personnes avaient appelé au départ des dirigeants de l'UGTT, dont son chef Noureddine Taboubi.
La nuit suivante, le chef de l'État, qui monopolise tous les pouvoirs depuis un coup de force à l'été 2021, prenait fait et cause pour les protestataires, niant leur volonté d'agresser qui que ce soit. En parallèle, il intimait à l'UGTT d'«ouvrir tous les dossiers» car «le peuple demande des comptes pour que ses biens lui soient restitués».
«Méfiance» du président
Pour Abdelatif Hannachi, professeur d'histoire contemporaine à Tunis, ces propos «fortement provocateurs» visent à pousser l'UGTT «à entrer dans un bras de fer» avec le pouvoir.
Le président Saied n'a jamais caché sa «méfiance envers les corps intermédiaires, y compris les forces de la société civile», souligne-t-il à l'AFP, disant redouter une escalade, voire «une confrontation» directe comme dans les années 1970-80.
M. Taboubi a annoncé une grande marche le 21 août au centre-ville pour «défendre l'UGTT et ses valeurs» et obtenir une relance du dialogue social.
L'UGTT «ne se laissera pas museler» car «sa voix est forte», a-t-il dit lundi, en appelant toute personne «qui a un dossier (de corruption, NDLR) à recourir à la justice» car l'UGTT n'est «pas au-dessus des lois».
Pour Bassam Khawaja, directeur régional adjoint pour Human Rights Watch (HRW), les déclarations de M. Saied sont des «menaces à peine voilées» et «une nouvelle atteinte aux institutions qu'il tente de démanteler depuis son coup de force» de 2021.
Fondée en 1946, l'UGTT a été à la pointe de la contestation de la colonisation française ainsi que de l'autocrate Bourguiba et son successeur Ben Ali, renversé en 2011.
«Après avoir multiplié les attaques contre les partis politiques et les associations, les autorités semblent avoir désormais dans leur viseur les forces syndicales, l'un des derniers piliers démocratiques en Tunisie», a indiqué à l'AFP M. Khawaja.
Depuis 2022, des dizaines d'opposants politiques, des avocats, des journalistes et des défenseurs des droits ont été placés en détention pour des accusations de complot contre le président ou de diffusion présumée de fausses nouvelles. Les ONG tunisiennes et internationales ont dénoncé un recul des libertés et droits ces dernières années.
M. Saied affirme au contraire qu'ils sont garantis et protégés par la Constitution et qu'il ne s'immisce pas dans le travail des juges.
«Intimidations»
Pour la Ligue tunisienne des droits de l'homme, la manifestation contre l'UGTT était une «tentative de tarir l'expression libre et d'affaiblir l'espace civique par le biais de l'intimidation, de la diffamation et de la déformation».
HRW a elle aussi exhorté les autorités à «mettre fin à leurs intimidations et à respecter le droit à la liberté d'association dans le contexte de crise économique que traverse la Tunisie».
Selon des observateurs, en s'en prenant à l'UGTT, M. Saied surfe sur un certain mécontentement de la population après par exemple trois jours d'une grève très suivie des transports fin juillet.
Des Tunisiens reprochent aussi à la centrale d'avoir bloqué l'économie, en multipliant les grèves notamment dans le secteur crucial des phosphates pendant la décennie ayant suivi la chute de Ben Ali.
A l'été 2021, l'UGTT avait soutenu le coup de force de M. Saied. Mais ses démarches pour ouvrir un canal de discussion avec la présidence ont échoué avant que des accusations de corruption, des arrestations de syndicalistes et l'apparition de conflits internes ne viennent brouiller son image.
La manifestation prévue le 21 août sera un test de la capacité de mobilisation d'une organisation qui compte plus de 700.000 adhérents et de nombreux sympathisants dans la société civile.
AFP
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