Tunisie: jusqu'à 66 ans de prison dans le méga-procès du \
Le président tunisien Kaïs Saied assiste à sa cérémonie de prestation de serment devant l’Assemblée nationale à Tunis, le 21 octobre 2024. ©Fethi Belaid / AFP

Un tribunal de Tunis a prononcé de lourdes peines de prison, allant jusqu'à 66 ans, dans un procès inédit pour « complot » contre le président Kaïs Saïed. Ce procès a impliqué une quarantaine de personnalités, dont des figures de l’opposition. Le jugement, rendu samedi, a été vivement dénoncé, notamment par des ONG.

Un responsable du parquet antiterroriste avait annoncé à l’aube des peines de 13 à 66 ans pour les prévenus, accusés de « complot contre la sûreté de l’État » et « adhésion à un groupe terroriste ». Toutefois, selon une liste communiquée à l'AFP par plusieurs avocats, dont Me Abdessatar Messaoudi, les peines vont de 4 à 66 ans et concernent des politiciens, d'anciens ministres, des avocats et des hommes d'affaires. Parmi eux, une quinzaine sont emprisonnés depuis deux ans, tandis que les autres sont en liberté ou en exil.

Bassam Khawaja, de l’ONG Human Rights Watch (HRW), a qualifié ce procès de « farce judiciaire » sur X (anciennement Twitter), soulignant qu’il n’a « même pas fait semblant d’être équitable ». Il a ajouté que les accusations portées contre les prévenus « ne reposent sur aucune preuve crédible ». Selon HRW, qui a pu consulter l’ordonnance de renvoi, les charges sont vagues et sans fondement.

D’après la liste de Me Messaoudi, les accusés en exil, dont l’intellectuel français Bernard-Henri Lévy, ont tous été condamnés à 33 ans de prison. Parmi eux figurent également la militante féministe tunisienne Bochra Belhaj Hmida et l’ex-cheffe du cabinet présidentiel, Nadia Akacha.

Recours en appel et critiques politiques

Des figures politiques comme Issam Chebbi, leader du parti social-démocrate, Jawhar Ben Mbarek, cofondateur du Front de Salut National, ainsi que l’ex-ministre centriste Ghazi Chaouachi, l’ancien haut fonctionnaire Ridha Belhaj et la militante Chaïma Issa, devront purger 18 ans de prison. Les accusés ont annoncé qu’ils feront appel, Me Messaoudi précisant : « On n’a pas le choix, sinon ceux qui sont libres risquent l’arrestation ».

L'ex-dirigeant social-démocrate Khayam Turki a été condamné à 48 ans de réclusion, tandis que la peine la plus lourde, soit 66 ans d’emprisonnement, a été infligée à Kamel Eltaïef, un homme d’affaires influent. Son cousin, Hayder Turki, a exprimé sa « grande tristesse » après le verdict, le qualifiant d'injuste, soulignant que « ce n’est pas un crime de faire de la politique ».

Abdelhamid Jelassi et Noureddine Bhiri, deux dirigeants du parti islamo-conservateur Ennahdha, ont été condamnés à respectivement 13 et 43 ans de prison. Ennahdha a dénoncé ce « procès inique » et réclamé « la libération immédiate de tous les prisonniers politiques ».

Une procédure controversée

Lors de la dernière audience du procès, ouverte le 4 mars, les avocats ont dénoncé ce qu’ils ont qualifié de « folie judiciaire » lorsque le juge a mis sa décision en délibéré sans avoir entendu les plaidoiries de la défense ni présenté un réquisitoire. Les journalistes et diplomates étrangers, accusés d’avoir rencontré des ambassadeurs, ont été exclus de cette audience.

Parmi les autres condamnés figure le directeur de la radio privée Mosaïque, Noureddine Boutar, condamné à 10 ans de prison, ainsi qu’un courtier en voitures, Hattab Slama, condamné à 4 ans pour avoir été géolocalisé près du domicile d’un autre accusé.

Un contexte de régression des libertés

Pour l’avocate Haifa Chebbi, fille du politicien Ahmed Nejib Chebbi (frère d’Issam), condamné à 18 ans de prison, ce verdict « reflète le triste état des libertés en Tunisie ». Elle dénonce un « procès préparé à l’avance » dans un contexte où les droits de l’homme sont de plus en plus réprimés.

Kamel Jendoubi, un des accusés en exil, a accusé le gouvernement d’avoir pris une « décision politique », exécutée par des juges sous influence, des procureurs complices et une ministre de la Justice au service d’un « autocrate paranoïaque ». Depuis le coup de force du président Saïed en 2021, où il a pris tous les pouvoirs, des ONG et des opposants dénoncent une grave régression des droits fondamentaux en Tunisie, un pays qui avait pourtant lancé le Printemps arabe en 2011.

Outre ce procès pour « complot », des dizaines de politiciens, d’avocats et de journalistes connus sont emprisonnés depuis le début de l'année 2023 en vertu d’un décret réprimant la diffusion de « fausses nouvelles », une notion qui reste largement interprétée de manière subjective.

Des réactions internationales et des appels à la libération des prisonniers

En février, le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a dénoncé la « persécution des opposants », soulignant qu’ils étaient « accusés de manière vague après avoir vraisemblablement exercé leurs droits ». L’ONG Human Rights Watch a, de son côté, affirmé que les accusations étaient sans fondement et que le procès visait avant tout à éliminer l’opposition politique.

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