
Plusieurs avocats et des proches des personnalités tunisiennes, dont des opposants au président Kais Saied, condamnées samedi à de lourdes peines pour « complot » contre l'État, ont dénoncé lundi un procès « fabriqué de toutes pièces », en confirmant des recours en appel.
Le tribunal de première instance de Tunis a infligé des peines allant de 4 à 66 ans de prison à l'encontre d'une quarantaine de politiciens d'opposition, d'avocats et d'anciens ministres.
Dans ce méga-procès, inédit pour le nombre de prévenus, les accusés ont été reconnus coupables de « complot contre la sûreté de l'État » et d'« appartenance à un groupe terroriste ».
Pour l'avocat Samir Dilou, le procès est « sans précédent en Tunisie », aussi pour les peines prononcées : « au total 892 années, soit 8 siècles et 92 ans de prison ».
Devant le tribunal, Me Dilou a dénoncé une absence d'éléments probants dans le dossier d'accusation, auquel les avocats n'ont pas eu accès dans sa totalité.
« Ils ne nous ont toujours pas dit comment les accusés ont fait pour conspirer contre l'État », a-t-il fustigé.
Me Dilou a annoncé l'interpellation à l'aube lundi de l'ancien juge devenu avocat Ahmed Souab. « Il va rester en détention pendant cinq jours et les deux premiers jours il ne pourra pas communiquer avec ses avocats », a déploré l'avocat.
Selon les médias locaux, Me Souab a été placé en garde à vue sous le soupçon de « menace de crimes terroristes », après des déclarations samedi à la suite du jugement du méga-procès.
Des vidéos le montrent en train de dire : « les couteaux ne sont pas sous la gorge des prisonniers mais sous celle du juge qui a émis son verdict », accompagnant ces propos d'un geste mimant un égorgement dans une allusion aux pressions du pouvoir tunisien sur la magistrature.
Depuis un coup de force du président Saied à l'été 2021 par lequel il s'est octroyé les pleins pouvoirs, ONG et opposants déplorent une régression des droits et libertés dans le pays berceau du Printemps arabe.
« Plan préétabli »
Pour Abdennasser Mehri, le procès du « complot », tenu sur seulement trois audiences, sans réquisitoire ni plaidoiries des défenseurs, constitue une « violation patente de la loi ».
« C'est une affaire montée de toutes pièces, sans fondement, selon un plan préétabli. Aujourd'hui nous craignons que la balance de la justice n'ait été cassée », a-t-il dit.
Dès samedi, Bassam Khawaja de l'ONG Human Rights Watch (HRW) avait dénoncé un procès qui n'a « même pas fait semblant d'être équitable ». Pour HRW, qui avait pu lire l'ordonnance de renvoi, les « graves » accusations « ne reposent sur aucune preuve crédible ».
Le procès a été utilisé « pour mettre dans le même panier tous ceux dont on voulait se débarrasser », estime Dalila Msaddek, une autre avocate.
Selon une liste fournie à l'AFP par plusieurs avocats, les peines les plus lourdes ont été infligées à l'homme d'affaires Kamel Eltaïef qui a écopé de 66 ans et Khayam Turki, un politicien social-démocrate condamné à 48 ans.
Les accusés se trouvant à l'étranger, dont l'intellectuel français Bernard Henri-Lévy, ont été condamnés à 33 ans de réclusion, à l'instar de la militante féministe tunisienne Bochra Belhaj Hmida.
Parmi les figures politiques, Jawhar Ben Mbarek et Ahmed Nejib Chebbi, co-fondateurs de la principale coalition d'opposition FSN, ainsi que Ghazi Chaouachi et Issam Chebbi (frère de Ahmed) devront purger 18 ans de prison.
Avec AFP
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