5 août 2025: le Liban face à l’épreuve de vérité

Il est désormais manifeste que le Liban entre dans une phase critique de son histoire contemporaine, à la croisée des lignes de fracture internes et des projections régionales qui l’enserrent depuis des décennies. À l’épreuve des tensions croisées qui traversent son tissu institutionnel, communautaire et stratégique, le pays s’apprête à vivre, ce mardi 5 août, une séquence politique dont les conséquences pourraient restructurer – ou définitivement disloquer – ce qui subsiste de l’ordre républicain.

L’agenda du Conseil des ministres, apparemment technique, dissimule une charge politique et symbolique d’une rare intensité. Le Premier ministre, Nawaf Salam, est sommé de faire un choix, non pas entre la guerre et la paix, illusions trop souvent brandies comme des absolus, mais entre deux formes d’effondrement: celui de l’autorité de l’État face à l’arme illégitime ou celui de son gouvernement face au retrait des forces souverainistes.

Dans un premier scénario, le chef du gouvernement, sous l’impulsion de ses partenaires occidentaux, introduirait un calendrier graduel de désarmement du Hezbollah. Cette proposition, en apparence modérée, signerait en réalité une rupture fondamentale dans l’équilibre tacite ayant prévalu depuis l’Accord de Doha de 2008: le refus d’aborder frontalement la question des armes du Hezbollah en contrepartie d’une stabilité institutionnelle relative. Une telle remise en cause provoquerait la démission immédiate des ministres affiliés au Hezbollah et au mouvement Amal, avec en toile de fond une mobilisation progressive des structures parallèles de la résistance chiite, déjà observée ces dernières semaines dans le Sud et dans la banlieue sud de Beyrouth.

Les signaux sont clairs: réunions discrètes avec les autorités locales, activation des réseaux civils de soutien, déploiement logistique dans les villages frontaliers. Ce n’est pas d’un simple retrait gouvernemental qu’il s’agit, mais d’une préfiguration assumée d’un basculement vers la confrontation directe avec l’État.

À l’inverse, si Nawaf Salam choisit de temporiser et renonce à soumettre ce point à discussion, il se heurtera au retrait coordonné des ministres des Forces libanaises, des Kataëb et du Parti socialiste progressiste. Ce départ acterait une rupture de légitimité du gouvernement et consacrerait, de fait, la mise sous tutelle du Liban institutionnel par une milice armée, adossée à un axe régional ouvertement anti-occidental.

Ce vide politique ouvrirait un champ d’action sans précédent à Israël dont les sources sécuritaires laissent déjà filtrer une volonté d’aller au bout du problème lors du prochain cycle d’affrontements. La guerre de l’été 2024, bien que violente, avait préservé une certaine retenue tactique. Celle qui vient pourrait, selon des analyses diplomatiques européennes, cibler non plus les infrastructures militaires périphériques, mais les centres de gravité du Hezbollah: réseaux de financement, quartiers généraux, relais politiques et hauts responsables.

Il serait illusoire de croire que le Liban peut encore échapper à cette double dynamique centrifuge. D’un côté, la désagrégation de son appareil étatique face à la militarisation d’un acteur non étatique; de l’autre, l’externalisation de la gestion du dossier libanais à travers une lecture strictement sécuritaire israélienne, soutenue tacitement par une partie de la communauté internationale épuisée par l’inertie libanaise.

La responsabilité historique incombe à une classe politique qui, depuis 2005, a confondu gestion du statu quo et fuite en avant. En refusant d’aborder la question centrale des armes du Hezbollah autrement que par des compromis temporaires, elle a favorisé l’émergence d’un État parallèle, doté de sa propre diplomatie, de son propre réseau logistique et de sa propre temporalité stratégique.

Le Liban est désormais confronté à un dilemme que ni les slogans de souveraineté ni les déclarations de modération ne sauraient résoudre. Toute tentative de réforme véritable passera nécessairement par une redéfinition du contrat national autour d’un seul principe: le monopole légitime de la violence doit revenir à l’État. Ce postulat, à la fois élémentaire et révolutionnaire dans le contexte libanais, est la condition minimale de toute reconstruction possible.

Le 5 août 2025 ne sera peut-être pas une date de rupture visible, mais elle actera l’échec ou l’audace: l’échec d’un système incapable de se réformer; ou l’audace, risquée, incertaine, mais nécessaire, d’un sursaut de souveraineté dans un pays que l’on dit trop souvent condamné à la résignation. ‎

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