Rentrer chez eux, envers et contre tout: le pari des familles du Liban-Sud
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Plus de six mois après le cessez-le-feu entre Tel Aviv et Beyrouth, la tension reste vive au Liban-Sud. Alors que les troupes israéliennes occupent encore certains secteurs frontaliers, en dépit du fait que le délai de retrait est écoulé, les habitants entament un retour progressif dans leurs villages meurtris par la guerre de treize mois entre Israël et le Hezbollah. Sous les drones qui bourdonnent encore au-dessus des localités et des collines, malgré les tirs sporadiques et les assassinats ciblés, les habitants reprennent le chemin de leurs villages, non dans l’espoir de paix, mais par refus de l’exil. Un retour silencieux, mais résolu, au cœur des ruines et de l’incertitude.

À peine les livres scolaires et les cahiers ont-ils été rangés et les examens terminés, que la véritable rentrée commençait. Progressivement. À Khiam, village perché aux portes de la frontière, Halim, déplacé depuis un an à Saïda, avec sa femme et ses deux enfants, dans un appartement loué à prix d’or, témoigne: «À la fin de l’année scolaire, nous avons décidé de rentrer. Nous en avions assez de payer des loyers de fous pour des appartements minuscules. Je préfère dormir dans ma maison aux murs fissurés que dans un lieu où je ne me sens pas chez moi.»

À Bourj el-Moulouk, Deir Mimes, Chebaa et Kfarchouba, les ruelles en pente bruissent à nouveau de bruits familiers: portières qui claquent, volets qui grincent, enfants qui courent. Partout, les murs portent encore les stigmates de la guerre. Des toits sont bâchés avec du plastique. Mais les habitants les regardent comme des cicatrices sur une peau qui vit encore. Les écoles publiques et privées reprennent vie. Les inscriptions pour l’année prochaine avancent lentement, mais sûrement.  

Les bâtiments sont abîmés, mais le retour représente une continuité et renvoie à un sentiment d’appartenance.

Zeina, 15 ans, exulte: «Maman a dit que je reviendrais ici l’année prochaine. Je vais retrouver ma place, mes profs, mes amis.» Pour beaucoup, réinscrire les enfants à l’école du village revient à dire, en silence: «On reste.»

Reconstruire les murs, relancer les affaires

Dans les villes d’accueil des réfugiés de la guerre, la situation était devenue intenable. À Tyr, Nabatiyé ou Beyrouth, les familles entassées dans des appartements exigus suffoquaient lentement. «À chaque fin de mois, je devais emprunter de l’argent pour payer le loyer. Ce n’est pas une vie», raconte Ghada, mère de trois enfants, revenue à Kfarchouba, où elle est propriétaire.

Au-delà du poids économique, c’est l’usure morale qui l’a aussi convaincue. Le sentiment d’être arrachée à sa terre, réduite à survivre dans un entre-deux sans repères.

«Même si le conflit armé peut recommencer, je préfère mourir chez moi que survivre ailleurs», lâche Hassan, retraité de Halta.

Une fois un toit retrouvé, une urgence émerge: relancer l’économie locale, rouvrir les commerces, redonner la vie à ces villages qui avaient été abandonnés. Là où les infrastructures ont été pulvérisées, les routes défoncées et l’aide institutionnelle toujours inexistante, les habitants comptent sur la solidarité, la débrouille et la volonté. «Il ne reste plus rien de mon épicerie», soufflée par les frappes, confie Jawad, 55 ans. «Mais je ne pouvais pas rester les bras croisés à Beyrouth, à dépenser le peu que j’avais pour le loyer sans aucun revenu. Avec mes fils, nous avons commencé à déblayer, nettoyer. Nous réparons le minimum pour rouvrir», raconte-t-il.

Le défi est immense. Les fonds nécessaires pour la reconstruction sont colossaux dans un pays où, pour beaucoup, l’argent manque. «On fait avec ce qu’on a. On rafistole. C’est ça la résilience, j’imagine», souffle Jawad. Pour beaucoup, le commerce est leur seul gagne-pain. Et le seul moyen de reconstruire une forme de dignité après des mois de dépendance et de déchirure.

Vivre sous la menace, mais vivre quand même

Ce retour s’opère sous une menace constante. Malgré le cessez-le-feu en vigueur depuis novembre 2024, les survols de drones, les bruits d’explosions lointaines et les rumeurs d’une nouvelle confrontation nourrissent l’anxiété. «Nous travaillons toujours la peur au ventre», murmure Siham, qui répare sa boutique à Marjeyoun. «Nous avons réparé un mur, mais qui sait s’il ne sera pas détruit demain? Nous vivons au jour le jour, mais nous devons bien vivre.»

Cette incertitude rend chaque investissement fragile, chaque décision lourde de doutes. Mais les habitants avancent, refusant de baisser les bras. 

Grâce à eux, le Liban-Sud avance à petits pas, vers une sorte de normalité, avec cette force douce et entêtée qu’ont ceux qui n’ont plus le luxe d’attendre. Ce n’est pas l’enthousiasme qui pousse les familles à revenir. C’est l’usure, l’attachement. Ce n’est pas l’assurance d’un avenir. C’est l’affirmation d’un droit: celui de vivre chez soi.

 

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