Patate chaude et cocotte-minute
©Ici Beyrouth

Tom Barrack est donc reparti comme il était venu. Avec les mêmes incertitudes et les mêmes atermoiements. L'émissaire américain a dû s'arracher les cheveux (façon de parler) devant la coupable insouciance constatée. 

La patate chaude du désarmement est officiellement refilée.  «C’est une affaire interne. Les États-Unis ne discutent pas avec une organisation qu’ils classent comme terroriste.»  Traduction: débrouillez-vous avec votre propre cancer.

Quant à Israël? «Aucune garantie possible», a-t-il ajouté. Résultat: les Israéliens ont les coudées franches, le Hezbollah garde ses armes, et le Liban, comme toujours, paie l'addition. Tom Barrack, très proche du président américain, veut sincèrement que le Liban sorte du piège dans lequel il a été mis. 

Mais le pays est coincé dans une mécanique de destruction à double sens: d’un côté, une milice qui dicte sa loi, qui prétend représenter une «résistance», mais qui entraîne le pays dans une guerre, ou à tout le moins, dans une mise en quarantaine diplomatique qu’il n’a jamais choisie; de l’autre, un État paralysé par les risques de «guerre civile». Deux mots qui ont d’ailleurs déjà été prononcés par Tom Barrack lors de sa précédente visite.

L’émissaire de Donald Trump est dans une sorte de «vis ma vie», longtemps réservée à l’émissaire français Jean-Yves Le Drian. Tourner en rond avec le même enthousiasme. Puisqu’on parle des Français, c’est vers eux que semble vouloir se tourner le gouvernement libanais. C’est ce qui explique la visite de Nawaf Salam à Paris ce jeudi. Convaincre Emmanuel Macron de jouer les intermédiaires avec… les intermédiaires américains. Le président français sera-t-il entendu par son homologue américain? Rien n’est moins sûr. Donald Trump commence à en avoir assez des tergiversations libanaises. 

Depuis des mois, le Liban vit dans un ballet tragique de… réponse à la réponse de la réponse. À force de documents croisés, on ne sait plus qui répond à quoi. Ce n’est plus une négociation, c’est un miroir brisé où chaque éclat reflète un problème: celui de la souveraineté, celui de la stratégie, celui de la solidarité nationale. Les dirigeants libanais ont tenté le «toi d’abord»: si Israël s’engage à se retirer des fameuses cinq collines, on pourra peut-être convaincre le Hezbollah de commencer à désarmer. Un flop intégral!  «Pas de garanties», on vous dit!

Et pendant ce temps, la population vit sous le ronronnement des drones, qui, coïncidence(!), ont repris, de plus belle, leurs rondes dans le ciel.  Rien ne semble faire plier la milice pro-iranienne qui sait pourtant qu’aucune paix, aucune reconstruction, aucune reprise économique ne sera possible tant qu’elle tiendra le pays en otage.

Le Hezbollah continue de brandir sa mission divine pendant que le pays saigne. Mais quelle résistance laisse son propre peuple sans toit ni pain ? Quelle stratégie impose aux Libanais la guerre perpétuelle comme mode de vie? Et quel État digne de ce nom accepte de se voir dicter sa politique par une organisation qui se substitue à lui? Et surtout, la question qui fâche: contre qui le Hezbollah compte-t-il utiliser ses armes? Pas contre Israël parce qu’on a bien vu qu’il ne faisait pas vraiment le poids. Alors contre qui? Contre ceux qui ne sont pas d’accord avec lui? Contre les chrétiens? Les sunnites? Les druzes? Nul ne le sait. 

Le Liban n’a plus d’excuses. Il ne peut plus espérer que les autres règlent ses problèmes pendant qu’il s’enfonce dans l’ambiguïté. La visite américaine n'était pas un signe d'espoir, c'était un constat d'échec.

L’occasion était là. Elle est en train de s’évanouir. Et cette fois, il n’y en aura peut-être pas d’autre. Les dirigeants regardent les trains passer. C’est joli un train qui passe d'autant qu’on n’en a pas au Liban puisqu’on a trouvé intelligent de construire des immeubles sur les voies ferrées.

L’immense humoriste Raymond Devos disait: «Moi, mon truc, c’est d’attendre que le train passe... Alors j’attends. Et quand un train passe, je me dis: c’est peut-être pas le mien. Alors j’attends le suivant. Résultat: je suis toujours sur le quai!»

Il est temps de prendre la locomotive du courage.

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