
À tous ceux qui viennent passer leurs vacances au Liban, voici un guide de survie dans un pays où rien ne marche, sauf tout.
D’abord, venir au Liban se mérite. Avec des prix de billets d’avion qui, ailleurs, permettraient de faire un aller-retour vers Mars en classe affaires. Bon, disons que vous avez vendu votre maison en France ou au Canada et que vous avez acheté le précieux sésame.
Première règle en arrivant à l’aéroport de Beyrouth: fuyez les taxis comme la peste. Ce ne sont pas des taxis, ce sont des concepts philosophiques sur roues. Le prix? Une énigme existentielle. On vous proposera une course à 80 dollars pour dix minutes de route. Le vrai Libanais, lui, appelle son cousin. Ou le cousin d’un cousin. Ou un mec sur WhatsApp avec une Toyota Corolla de 2009 qui vous appelle «habibi» avant même de vous voir, et qui dit qu’il vous attend au parking B5 alors qu’il n’est toujours pas parti de sa station.
Une fois dans la ville, bienvenue sur les routes. Pardon, dans le labyrinthe infernal des applications de géolocalisation qui vous feront tourner en rond autour du même rond-point pendant vingt minutes. Aucune indication, éclairage à l’ancienne (c’est-à-dire éteint) et une signalisation digne d’un escape game sous acide. Pourtant, tout le monde y arrive. Même vous. Si si. Il suffit d’ouvrir la vitre du véhicule et demander à n’importe quel type qui se fera un plaisir de vous indiquer la route. Même s’il n’a aucune idée du lieu où vous souhaitez vous rendre.
Le plus beau? En traversant des quartiers qu’en Europe on appellerait pudiquement «sensibles», vous verrez des immeubles délavés, de la ferraille, des antennes qui menacent de s’effondrer… et des climatiseurs flambant neufs! Oui, au Liban, même les bidonvilles ont l’air conditionné. Pendant que les Européens paniquent à 34°, ici on dort avec une couette et une clim à 18°.
Les restos? Pleins. Toujours. À n’importe quelle heure. La crise économique? Oui, elle touche une grande majorité des Libanais. Mais alors qui sont ces gens attablés partout? À l’entrée des établissements, l’accueil est souriant mais ferme. «Walaw! Vous n’avez pas réservé! C’est fully booked.»
Les Libanais ne mangent pas pour vivre, ils mangent pour oublier la liste sans fin des problèmes qu’ils auront à gérer dès que le jour se lèvera. C’est comme ça. Et ça marche. Parce que franchement, une assiette de kebbé nayé avec un oignon cru, croqué pour avoir plus de goût, ça calme les angoisses existentielles.
Parlons de l’électricité. Ou plutôt du concept d’électricité. On vit entre générateurs privés, un bouton rouge qui indique que le courant de la dawlé (l’État) est disponible, et des «abonnements» auprès de gens qu’on ne connaît pas, mais qu’on respecte comme des chefs de guerre. Et malgré ça, Netflix tourne, les télés sont allumées et le café reste toujours chaud. Les gens ont deux factures d’électricité tous les mois, une officielle et l’autre pour le «moteur», le générateur de quartier.
Dans la rue, c’est chacun pour soi, sauf quand c’est chacun pour tous. En cas de pépin, douze personnes sortent de nulle part pour vous aider. Mais dans les bouchons? Préparez-vous à vivre l’enfer. Tout le monde klaxonne, double par la droite, invente une troisième voie et insulte affectueusement les autres conducteurs. Et pourtant, tout le monde arrive à destination, plus ou moins vivant.
Niveau sécurité? Le Liban est peut-être au bord, voire au fond du gouffre, mais il est bien plus sûr que les grandes capitales européennes. Pas de vols dans le métro (facile, il n’y en a pas), peu d’agressions dans les rues, même à 3h du matin. Des barrages militaires un peu partout, certes, mais ils sourient et disent «tfaddal».
Côté monnaie, on joue en mode Casino Royal: deux devises en circulation, des prix affichés parfois en dollars, parfois en livres libanaises, parfois en langage codé. Et pourtant, tout le monde comprend. Sauf vous. Ce n’est pas grave, vous allez vite apprendre à diviser par 89.600 (le taux pour un dollar en livres libanaises). Même les nuls en maths finissent par y arriver.
Le Liban est un patchwork confessionnel. Chaque quartier a sa propre identité. Sans carte, sans guide, on sait. On sent. Et si on ne sait pas, on demande: «Tu viens d’où?» Traduction: «Quelle est ta religion?» Une forme d’anthropologie instantanée, 100% locale.
La nourriture? Aucun contrôle sanitaire. Zéro. Et pourtant, passée la «tourista» d’arrivée obligatoire, genre parcours initiatique, peu de personnes tombent gravement malades. On mange de la viande crue, des tripes, du poisson pêché dans une mer douteuse, et des glaçons faits dans des bacs aux origines obscures… et tout va bien. Allez comprendre!
Au Liban il fait beau. Alors destination plage. impossible à éviter. Ne vous hasardez pas sur les plages publiques, sales, non équipées… direction les plages privées. L’entrée est très payante. Prévoyez un virement bancaire international pour une journée de farniente.
Et puis, l’immobilier. Plus personne n’achète de logement en Europe parce que «vous comprenez les taux d’intérêt sont à 3%». ici, pas de crédit immobilier, on paie cash…contrairement à toute règle économique, les prix sont délirants, les offres absurdes… mais toujours une impression de ruée vers l’or. Parce que le Libanais, même ruiné, investit dans la pierre. C’est psychologique. Ça rassure. C’est du concret!
Et si vous voulez définitivement être perdu, essayez de participer à une discussion sur la politique locale. Chacun des 4,5 millions de Libanais a un avis complet, personnel et argumenté sur la situation dans le pays et la région. Avis totalement différents d’un individu à l’autre.
Alors non, il ne faut pas chercher à comprendre comment fonctionne ce pays. Il ne fonctionne pas. Il existe. Il vibre, il klaxonne, il gueule, il mange, il aime, il souffre… mais il tient debout. C’est ça, le Liban: un paradoxe permanent, une absurdité sublime. Et une leçon de vie pour ceux qui ont encore besoin que tout soit logique pour être beau.
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