
Face à la flambée des coûts d’importation, les entrepreneurs libanais ont redoublé d’ingéniosité. Paradoxalement, la crise multidimensionnelle a agi comme un catalyseur: contraints de trouver des alternatives, de nombreux acteurs du secteur privé se sont lancés dans la création de leurs propres marques commerciales. Dans un marché local en quête de renouveau, surtout depuis le retrait progressif de plusieurs enseignes internationales depuis 2019, Beyrouth a vu éclore récemment entre 32 et 34 nouvelles marques déposées.
Ce mouvement marquerait un tournant dans la structure même de la société libanaise, qui semble amorcer un passage d’un modèle de consommation vers une dynamique plus productive. Des marques nées du tumulte des crises, disent certains observateurs.
Franchise ou distribution: deux voies pour rayonner à l’international
Le Liban s’affirme comme l’un des pionniers arabes dans la création et l’exportation de marques vers l’étranger. Portées par une créativité reconnue, notamment dans les secteurs de la mode, des cosmétiques et de la gastronomie, ces marques choisissent deux voies distinctes pour se développer à l’international: la franchise ou la distribution.
Certaines enseignes emblématiques, comme Em Sherif ou Zaatar w Zeit, optent pour le modèle de la franchise. Elles exportent non seulement leurs produits, mais aussi tout un concept: décor, savoir-faire, identité visuelle et expérience client, sous contrat et avec un accompagnement structuré.
D’autres marques libanaises misent sur un modèle plus souple, celui de la distribution. C’est le cas d'Al-Wadi al-Akhdar, Ksara ou encore de Bassam Fattouh Cosmetics, dont les produits sont présents à l'étranger via des distributeurs ou points de vente partenaires, sans duplication du concept global.
À noter: Bassam Fattouh Cometics a signé un accord de coentreprise avec le groupe Fattal pour développer la marque de maquillage et de cosmétiques au Moyen-Orient, dans le Golfe, en Afrique du Nord et au-delà. Il est déjà visible sur des sites e-commerce régionaux comme Phreya ou Galeries Lafayette Doha.
Le choix entre franchise et distribution n'est pas anodin: il détermine le degré de contrôle de la marque, le niveau d'investissement requis et le mode de déploiement sur les marchés internationaux.
Un secteur structuré et moteur de croissance
Le secteur de la franchise au Liban compte environ 1.200 marques actives, réparties à parts égales entre 600 enseignes locales exportées sous forme de franchises et 600 marques étrangères implantées sur le marché local. Il représente un pan significatif de l'économie libanaise, avec une contribution estimée à environ 4% du PIB.
Mais la crise a laissé des traces: le volume d’activité de la franchise est passé de plus de 2 milliards de dollars avant 2019 à environ 500 à 600 millions actuellement. Un recul qui n’empêche pas certaines enseignes de séduire les investisseurs. Trois marques locales ont ainsi attiré chacune des investissements du Golfe dépassant les 110 millions de dollars.
Une source bien informée sur les coulisses du secteur de la franchise au Liban confie que deux des trois enseignes ayant récemment suscité l'intérêt d'investisseurs du Golfe, notamment émiratis, sont celles du groupe Em Sherif, spécialisé dans la restauration, et du groupe Addmind, fondé en 2001, qui exploite plusieurs restaurants et night-clubs — dont le Bar du Port — implantés à Dubaï, à Bahreïn, en Égypte et à Riyad.
Avec plus de 100.000 emplois directs, le secteur reste l’un des principaux pourvoyeurs de travail dans le pays. La restauration en constitue le cœur, représentant près de 49% des franchises, suivie par la mode, la joaillerie et le design d’intérieur. Les modèles économiques varient selon les cas: certains sont fabricants, d’autres distributeurs, ou combinent les deux.
Franchise: la Syrie, un nouveau terrain de jeu pour les marques libanaises?
Interrogé par Ici Beyrouth, Yahya Kassaa, président de l’Association libanaise de la franchise (ALF), se montre serein face à la montée en puissance économique de la Syrie. Il écarte l'idée d'une concurrence frontale entre Beyrouth et Damas sur l'attractivité des franchises internationales:
«Je ne redoute pas l’arrivée de marques turques ou régionales en Syrie. Ce sont de petites enseignes, qui ne feront pas d’ombre aux acteurs libanais.»
Bien au contraire, Kassaa voit dans ce pays voisin un marché en devenir pour les franchiseurs, franchisés et master-franchisés libanais, à condition toutefois que la stabilité politique s’installe. «C'est une réelle opportunité de croissance pour nos franchiseurs et franchisés», affirme-t-il.
Parmi les groupes les mieux positionnés pour capitaliser sur ce nouveau souffle régional, Kassaa pense à Azadea, le mastodonte libanais de la master-franchise au Moyen-Orient, représentant de grandes enseignes comme Zara, Virgin Megastore ou encore Paul.
Pour rappel, un master-franchisé détient les droits exclusifs d’exploitation d’une marque internationale sur un territoire donné. Il peut ouvrir des points de vente en propre ou accorder des sous-franchises à d’autres opérateurs, tout en assurant l’adaptation locale du concept, la logistique, le recrutement et le marketing.
Kassaa note également un regain d’intérêt des marques internationales pour le marché libanais, après plusieurs années de retrait. Certaines reviennent déjà, parfois avec de nouveaux opérateurs. Il cite notamment Adidas et Pinkberry.
«Si la stabilité politique s’installe, le Liban peut redevenir une plateforme régionale incontournable. La multiplication des enseignes commerciales au centre-ville de Beyrouth en est déjà un signe précurseur.»
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