La trêve entre l'Iran et Israël, un soulagement pour Ankara
Le président turc Recep Tayyip Erdogan ©Adem ALTAN / AFP

La fragile trêve entre l'Iran et Israël en vigueur mercredi est scrutée de près par l'un des grands voisins de Téhéran, la Turquie, qui a tenté de peser de tout son poids pour stopper un conflit lourd de menaces pour elle.

Mardi soir, le président turc Recep Tayyip Erdogan s'est entretenu pour la troisième fois en 10 jours avec son homologue américain Donald Trump, cette fois en tête-à-tête en marge d'un sommet de l'Otan, après avoir enchaîné depuis les premières frappes israéliennes du 13 juin les appels avec les principaux dirigeants régionaux, le président iranien Massoud Pezeshkian et le président russe Vladimir Poutine.

«La Turquie a déployé de gros efforts pour apaiser la situation, mais elle n'est pas perçue comme un médiateur crédible par l'Iran et Israël, donc Erdogan ne peut pas faire grand-chose», relève Gönül Tol, du groupe de réflexion Middle East Institute, à Washington.

Les liens entre la Turquie et Israël ont été rompus par la guerre à Gaza et les Iraniens reprochent aux Turcs d'héberger un radar de détection lointaine de l'Otan sur leur base de Kürecik (est), souligne-t-elle à l'AFP.

Ankara a nié fermement que des données aient été transmises à Israël, mais plusieurs responsables iraniens ont averti que ce radar pourrait être leur «première cible» dans le scénario d'une guerre d'ampleur, explique Gönül Tol.

Malgré cela, le président Erdogan a tenté d'organiser des pourparlers américano-iraniens à Istanbul la semaine passée, qui n'ont pu se tenir faute d'approbation du guide suprême iranien, l'ayatollah Khamenei, en fuite en raison des menaces pesant sur lui, selon le média américain Axios.

«Menaces transfrontalières» 

Inquiet de la force de frappe israélienne, le président Erdogan a dit vouloir renforcer la dissuasion turque, ordonnant son industrie de défense d'accroître sa production de missiles de moyenne et longue portée pour se préparer à «tous les scénarios».

«Les inquiétudes concernant une éventuelle confrontation turco-israélienne à court terme semblent exagérées», mais «les deux parties seraient avisées de réduire les tensions», estime Gallia Lindenstrauss, de l'Institut pour les études de sécurité nationale (INSS) à Tel-Aviv.

Pour la Turquie, la crainte la plus immédiate, si les hostilités venaient à reprendre, serait de voir son voisin iranien sombrer dans le chaos ou la guerre civile, comme cela fut le cas de l'Irak et de la Syrie, note Soner Cagaptay, du Washington Institute of Near East Policy.

«Cela pourrait créer des menaces transfrontalières», explique-t-il à l'AFP, rappelant qu'en Irak et en Syrie, le vide de pouvoir avait été exploité par le groupe État islamique (EI) et des combattants kurdes qui en avaient profité «pour lancer des attaques en Turquie».

Mais «le plus gros risque» pour Ankara serait un nouvel afflux de réfugiés, affirme M. Cagaptay, qui estime que «si l'Iran s'effondre, il n'y aura qu'un seul pays vers lequel les Iraniens fuiront en masse: la Turquie».

Vendredi dernier, M. Erdogan a ainsi averti le chancelier allemand Friedrich Merz que les frappes sur l'Iran risquaient de déclencher une vague migratoire vers la Turquie et l'Europe, même si les autorités turques affirment que les arrivées d'Iraniens à leur frontière est n'ont pas augmenté depuis le 13 juin.

«Chaos sur lequel capitaliser» 

L'agitation en Iran pourrait également nuire aux efforts d'Ankara pour mettre fin au conflit qui l'oppose depuis des décennies au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qui a annoncé sa dissolution le mois dernier, ajoute Gönül Tol.

Bien que la plupart des groupes affiliés au PKK ont affirmé qu'ils déposeraient les armes, en Irak, le Parti pour une vie libre au Kurdistan (PJAK) s'y oppose, ce qui fait craindre à Ankara que les évènements en cours «puissent le renforcer», souligne l'experte.

«Certaines factions du PKK sont mécontentes de l'appel du (fondateur du mouvement Abdullah) Öcalan et pourraient penser: Pourquoi rendre les armes maintenant alors qu'il y a tant de chaos sur lequel capitaliser?», analyse-t-elle.

Les répercussions économiques du conflit constituent une autre préoccupation plus immédiate pour la Turquie, déjà aux prises avec une inflation supérieure à 35% depuis fin 2021, explique la chercheuse.

«Si l'Iran devait fermer (le détroit d')Ormuz, cela induirait une hausse importante des prix de l'énergie et c'est quelque chose qui inquiète beaucoup la Turquie», juge-t-elle.

Par Hazel WARD/AFP

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