
Plus précieux que les joyaux de la Couronne britannique, le trésor impérial iranien brille dans les sous-sols de la Banque centrale à Téhéran. Héritage des conquêtes royales, il incarne cinq siècles de faste perse, désormais figés dans une vitrine.
C’est un trésor que peu de gens ont vu, mais dont les connaisseurs parlent avec révérence. Derrière des portes blindées, enfoui dans les sous-sols de la Banque centrale de Téhéran, repose ce que certains historiens considèrent comme la collection de bijoux la plus précieuse au monde – devant même celle de la monarchie britannique.
Accumulé au fil de plus de 500 ans d’histoire impériale, enrichi par les conquêtes des Safavides, des Qajars et des Pahlavi, ce trésor renferme des objets venus d’Inde, d’Asie centrale, du Caucase, de l’Empire ottoman. Chaque pièce raconte une histoire, celle d’un empire qui, jusqu’en 1979, se pensait éternel.
Le Darya-i-Noor, joyau des joyaux
Au centre de cette collection légendaire brille un diamant que peu de musées pourraient se permettre d’exposer: le Darya-i-Noor (Mer de lumière), un diamant rose pâle de 182 carats, considéré comme le plus grand diamant rose taillé au monde. Il aurait été extrait des mines indiennes de Golconde et appartenu aux empereurs moghols avant d’être saisi par Nader Shah en 1739 lors de son invasion de Delhi.
Le Darya-i-Noor (Mer de lumière), un diamant rose pâle de 182 carats.© www.teheran.ir
Il n’est pourtant pas seul: son «jumeau», le Noor-ul-Ain (≈60 carats), est serti dans un diadème porté par la shahbanou Farah Pahlavi lors de son couronnement en 1967. Elle fut la première impératrice iranienne à être officiellement couronnée, et son image, parée de pierres spectaculaires, reste un symbole de l’âge d’or monarchique.
Trônes démontables et globes de pierres
Le faste de cette époque ne se limite pas aux diadèmes. Le trésor contient aussi des objets de pouvoir hors norme, comme le Takht-e Tavous (le Trône du Paon), un trône monumental incrusté de plus de 26.700 gemmes: émeraudes, diamants, rubis, perles, et conçu au XIXᵉ siècle pour éblouir les cours étrangères. Il ne faut pas le confondre avec le trône moghol du même nom, mais l’allusion n’est pas innocente, l’Iran cherchait à rivaliser avec ses voisins en majesté.
Rempli de diverses perles originaires du Golfe persique, le coffre est décoré de peintures et de motifs floraux datant de l'époque Kadjar, dynastie qui régna sur l'Iran de 1786 à 1925. © www.teheran.ir
Plus ingénieux encore, le trône Naderi, démontable en douze parties, accompagnait le shah dans ses palais d’été. Il permettait de transposer le pouvoir sans en altérer le décorum. Le Trésor comprend également des épées ornées de pierres, des ceintures serties d’émeraudes de plus de 170 carats, des colliers de perles géantes, des aigrettes, des boucliers de cuir incrustés de diamants et une infinité de parures d’apparat.
Mais l’objet le plus spectaculaire, peut-être, reste le globe terrestre en or massif, construit en 1874. D’un poids de plus de 34 kg d’or pur, il est orné de 51.366 pierres précieuses. Les océans représentés en émeraudes, les continents en rubis, les puissances impériales comme l’Iran et le Royaume-Uni figurées en diamants. Ce globe est une carte politique sertie de gemmes, une vision du monde façonnée par l’orfèvrerie.
Un trésor d’État, une valeur inestimable
Après la Révolution islamique, ce trésor aurait pu disparaître dans les remous de l’Histoire. Il n’en fut rien. La République islamique, en rupture avec la monarchie, a choisi de conserver intégralement ce patrimoine, qu’elle a placé sous la garde de la Banque centrale. Il n’est plus porté, mais scrupuleusement inventorié, sécurisé en tant que propriété de l’État.
Son rôle économique est unique au monde: le Trésor sert de garantie implicite à la monnaie nationale, le rial. Les économistes iraniens expliquent qu’en cas d’effondrement extrême, l’État pourrait, en théorie, aligner sa politique monétaire sur la valeur colossale de cette collection. Certains experts estiment sa valeur à plusieurs centaines de milliards de dollars, bien qu’aucune estimation officielle ne puisse être vérifiée, tant les pièces sont uniques.
Le 26 octobre 1967, le chah d'Iran prend le titre d'empereur après 26 ans de règne. Son épouse, Farah, devient la chahbanou: voici son collier créé par Van Cleef & Arpels avec des gemmes du trésor iranien. © www.teheran.ir
Le plus grand paradoxe tient dans la relation entre ce trésor monarchique et le pouvoir théocratique actuel. Ce régime né en opposition à la royauté conserve, entretient, expose (avec grande parcimonie) les artefacts du règne déchu. Le Trésor est ouvert au public quelques jours par semaine, mais sans publicité, sans site officiel dédié, sans présence dans les grands circuits touristiques.
Cette discrétion est politique. Comment mettre en valeur les couronnes d’or de Farah Diba dans une république fondée sur «la modestie religieuse» et l’anti-impérialisme? Pourtant, personne ne songe à le faire disparaître: sa puissance symbolique et sa valeur stratégique dépassent les régimes. On veut bien le croire.
Un trésor sans label: pourquoi l’Unesco l’ignore
Malgré sa valeur inestimable et sa portée historique, le Trésor national des bijoux d’Iran ne figure pas sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Contrairement à des sites comme le palais de Golestan ou Persépolis, également en Iran, cette collection de joyaux impériaux n’a jamais fait l’objet d’une candidature officielle.
Plusieurs raisons expliquent cette absence. D’abord, le trésor est conservé dans les sous-sols de la Banque centrale, et non dans un site architectural ou historique ouvert à des foules de visiteurs. Il n’existe pas d’infrastructure muséale autonome ou de politique culturelle claire autour de cette collection.
Ensuite, le poids politique du trésor freine toute initiative. Héritage direct de la monarchie déchue, porté par la famille Pahlavi jusqu’en 1979, ce patrimoine reste un sujet sensible dans la République islamique. Le promouvoir à l’international reviendrait, pour certains, à légitimer l’opulence d’un régime honni.
Enfin, l’Unesco privilégie les candidatures émanant des États. Or, Téhéran reste silencieux sur ce dossier, par choix stratégique autant que par prudence idéologique. Résultat: le plus grand trésor du monde reste officiellement… sans reconnaissance.
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