
C’est une opération qui a pris tout le monde de court et qui mérite d’être saluée haut et fort : les forces de sécurité libanaises, en coordination avec la justice financière, ont mené hier des descentes au Casino du Liban (saisissant des ordinateurs et des serveurs) et dans l’une des branches de la société OMT, opérateur de transferts d’argent. Un rare sursaut d’autorité dans un pays rongé par l’impunité, la corruption et le clientélisme.
Derrière les projecteurs et les machines à sous du Casino, se cache depuis des années une zone grise où se mêlent argent sale, trafics d’influence, et jeux d’équilibristes financiers au bénéfice de certains réseaux politiques. Parmi les noms qui circulent aujourd’hui dans les milieux judiciaires : Roland Khoury, président du Casino et proche du Courant Patriotique Libre (CPL), et Amal Abou Zeid, ancien député et homme d’affaires, également lié au CPL. Les deux sont soupçonnés d’avoir facilité, sinon organisé, des opérations de financement parallèles à grande échelle, en particulier au profit de figures politiques comme Michel Aoun et Gebran Bassil.
Un système parallèle pour alimenter la machine politique
Selon des sources judiciaires concordantes, les descentes auraient été motivées par des soupçons de circulation illicite de devises entre les réseaux du Casino, certains transferts opérés par OMT, et des comptes liés à des figures politiques actuellement sous sanctions internationales. Gebran Bassil, chef du CPL et gendre de l’ancien président Michel Aoun. (M. Bassil est sous le coup de sanctions Magnitsky depuis novembre 2020, pour corruption endémique et détournement des ressources publiques, ndlr).
Ce que les enquêteurs cherchent désormais à démontrer, c’est que le Casino du Liban, censé être une entreprise semi-publique régulée, aurait été transformé en véritable tuyau de financement parallèle, au service d’un parti politique en déclin et d’un clan familial qui continue de tirer les ficelles dans l’ombre.
Roland Khoury et Amal Abou Zeid: deux figures au service du CPL
Nommé à la tête du Casino en 2017, Roland Khoury est depuis longtemps accusé de mauvaise gestion, de favoritisme dans les recrutements, et d’avoir couvert plusieurs pratiques douteuses dans l’administration financière de l’établissement. Sa loyauté envers le CPL n’a jamais été un secret, et plusieurs observateurs l’ont déjà accusé d’avoir utilisé son poste pour protéger les intérêts politiques et financiers de ses parrains.
Quant à Amal Abou Zeid, ancien conseiller présidentiel et figure d'affaires sulfureuse, il est soupçonné d’avoir joué un rôle clé dans l’acheminement de fonds via des sociétés écran et des circuits opaques de transferts d’argent (notamment en utilisant les canaux de OMT, dont certains employés font aujourd’hui l’objet d’interrogatoires approfondis), dans le but également de financer l’intégralité de la campagne politique du camp aouniste pour les législatives de 2026.
Une justice enfin debout ?
Il est encore trop tôt pour mesurer pleinement l’ampleur de cette affaire, mais les descentes d’hier marquent un tournant symbolique : elles montrent qu’une partie de l’appareil judiciaire et sécuritaire du Liban semble prête, enfin, à s’attaquer aux totems de l’impunité. Ce n’est pas seulement une enquête sur des transferts illégaux ou de financement parallèle: c’est un signal envoyé à ceux qui pensent que le pouvoir politique peut encore servir de bouclier à leurs crimes financiers.
Si le Liban veut sortir du marasme économique et moral dans lequel il est plongé depuis des années, ce genre d’initiatives doivent devenir la norme et non l’exception. Mais pour cela, il faudra aller jusqu’au bout : auditer les comptes du Casino et d’OMT, suivre les circuits financiers jusqu’aux destinations finales, même si cela mène directement à Rabieh ou à Bsalim.
Il est temps que la justice libanaise cesse de craindre les puissants, et commence à servir les citoyens. Car tant que des institutions comme le Casino du Liban seront aux mains de clans politiques corrompus, c’est tout l’État libanais qui reste pris en otage.
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