
Alors que le Liban s’apprêtait à vivre un été prometteur, porté par un regain d’optimisme et l’arrivée attendue de milliers de touristes arabes et d’expatriés, la réalité géopolitique l’a rattrapé de plein fouet. Fragilisé par une crise économique persistante, le pays du Cèdre voit à nouveau ses espoirs suspendus à un conflit régional.
Le tourisme, secteur vital qui pesait, avant la crise de 2019, plus de 20% du PIB national, devait offrir un répit estival à une économie exsangue. Après une fête de l’Adha marquée par un taux d’occupation hôtelier atteignant 80% à Beyrouth, tous les indicateurs semblaient au vert. «Nous avions des réservations en masse pour la quinzaine à venir, mais elles s’effritent rapidement», témoigne Pierre Achkar, président du syndicat des hôteliers, à Ici Beyrouth. Si les annulations restent plus limitées pour les mois d’août et septembre, l’inquiétude gagne du terrain. M. Achkar rappelle qu’un hôtel a besoin d’un taux d’occupation compris entre 30 et 50% pour couvrir ses coûts. «Nous sommes loin du compte», déplore-t-il.
Même constat, avec davantage de modération, chez les propriétaires de maisons d’hôtes. Ramzi Salman, leur représentant syndical, note que les annulations sont pour l’instant minimes. «Dans mon établissement, un seul événement, prévu par des visiteurs venant de Dubaï, a été annulé. Bien sûr, il y aura un impact, mais j’espère qu’il sera modéré, surtout dans les deux prochaines semaines», confie-t-il à Ici Beyrouth.
Des chiffres alarmants à l’aéroport
Le président du syndicat des agences de voyage, Jean Abboud, est plus alarmiste. «Depuis les affrontements entre Israël et l’Iran, nous enregistrons une baisse significative du nombre de visiteurs», affirme-t-il. D’après les estimations, le nombre de vols entrants vers le Liban a chuté de près de 60%.
Avant l’escalade, l’aéroport international de Beyrouth (AIB) enregistrait entre 12.000 et 13.000 arrivées par jour. Désormais, les passagers sont majoritairement des Libanais expatriés ou des voyageurs qui étaient bloqués à l’étranger. De nombreuses compagnies aériennes ont suspendu leurs liaisons avec le Liban; seules deux ou trois assurent encore des vols réguliers.
La crise touche aussi les départs. Les vols charters vers des destinations touristiques comme la Turquie ou Charm el-Cheikh ont tous été annulés. «Personne ne quitte le Liban en ce moment pour faire du tourisme», constate M. Abboud.
Les conséquences économiques sont majeures: entre 30 et 40% des réservations estivales à l’étranger ont déjà été annulées, une proportion qui pourrait croître à mesure que les incertitudes persistent. «Les agences de voyage vont perdre bien plus sur les voyages sortants que sur les arrivées annulées», prévient-il.
Un secteur vital sous tension
Khaled Nazha, vice-président du syndicat des restaurateurs, pâtissiers et boîtes de nuit, partage cette inquiétude. «Ce secteur emploie des milliers de Libanais. Nous nous étions préparés à un été radieux, après des années de crises. On comptait sur le retour des expatriés et des touristes du Golfe», confie-t-il.
Aujourd’hui, c’est une saison entière qui vacille. Si la tendance se confirme, les pertes pourraient atteindre entre 300 et 500 millions de dollars. Le climat d’incertitude, les annulations en chaîne et la suspension de nombreuses liaisons aériennes pèsent lourdement sur un secteur déjà fragilisé.
Le Liban comme refuge? Une hypothèse incertaine
Dans ce contexte sombre, certains entrevoient une possible opportunité: la crainte de représailles iraniennes contre des bases américaines dans les pays du Golfe pourrait pousser certains résidents, notamment les familles arabes fortunées, à quitter temporairement la région. Le Liban pourrait alors servir de refuge, en particulier les zones montagneuses. Mais cette hypothèse reste fragile. La proximité du Liban avec le théâtre des tensions et sa propre instabilité interne limitent cette perspective. Toute extension régionale du conflit réduirait à néant cet éventuel afflux alternatif.
Le Liban, qui espérait enfin tourner une page après des années de crises économiques et politiques, voit à nouveau ses espoirs balayés. Si la situation militaire se stabilise rapidement et que le pays reste à l’écart d’un embrasement régional, les dégâts pourraient être en partie maîtrisés.
Mais dans le cas contraire, la saison touristique 2025 pourrait s’ajouter à la longue liste des occasions manquées d’un pays qui vit au rythme des secousses géopolitiques. Une fois de plus, alors qu’il croyait pouvoir respirer, le Liban se retrouve à retenir son souffle.
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