Sécheresse: quand le ciel boude, la terre trinque
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Pas une goutte ou presque. La saison hivernale 2024-2025 a été avare en pluie et les conséquences ne se sont pas fait attendre. Dans les vergers, sur les collines, dans les serres comme dans les champs, c’est la douche froide… sans eau. Le Liban, habitué aux hivers généreux en précipitations, fait face à une sécheresse d'une ampleur inquiétante. Résultat: les fruits et légumes en prennent un coup… au moral comme à la récolte.

Avec moins de 350 mm de pluie enregistrés à Beyrouth entre novembre et mars – contre une moyenne annuelle de 800 mm – l’hiver 2024-2025 figure parmi les plus secs des deux dernières décennies, selon les données officielles. Dans la Békaa, région agricole stratégique, les précipitations ont diminué de plus de 45% par rapport à la moyenne saisonnière.

Cette baisse drastique n’a pas permis le rechargement naturel des nappes phréatiques, entraînant une diminution de 30% du débit de plusieurs sources et rivières, dont le Litani. Résultat: la saison d’irrigation démarre en mode survie.

Par conséquent, la production agricole est passée, elle, en mode alerte rouge. Selon des estimations préliminaires du ministère de l’Agriculture et de la FAO, la récolte de pommes pourrait chuter de 25%, notamment dans le Akkar et la Békaa-Nord, tandis que les bananes, cultivées en zones côtières, subissent une baisse estimée à 30% en raison du manque d’irrigation. La production des avocats, fortement touchés par le stress hydrique, pourrait enregistrer une perte de 40%. Quant aux pommes de terre, la réduction des surfaces cultivées atteint 20%, avec une baisse de rendement estimée à 35%.

Du côté des agrumes (citrons, oranges), les pertes estimées varient entre 15 et 20%, selon les régions. Les exploitations de cerises, sensibles aux conditions climatiques, signalent des pertes pouvant atteindre 60%, tandis que la production de prunes pourrait reculer de 35%.

«En tout, près de 40% des agriculteurs dans les zones touchées risquent de voir leurs revenus diminuer de moitié cette saison», explique un agriculteur à Ici Beyrouth, précisant que les fruits tombent prématurément des arbres à cause de la sécheresse. Il ajoute que les fruits risquent également d’être plus petits, les arbres ayant manqué d’eau. Mais il nuance: «Les arbres les plus âgés, grâce à leurs racines profondes, résistent un peu mieux au stress hydrique.»

Face à cette situation critique, le mohafez de la Békaa, Kamal Abou Jaoudeh, a tiré la sonnette d’alarme. Dans une série de lettres adressées aux principales institutions concernées, l’Office des eaux de la Békaa, l’Office national du Litani, le Lari (l’Institut libanais des recherches agricoles) et la direction de l’Agriculture, il appelle à «la prise de mesures préventives urgentes face à la baisse alarmante des réserves d’eau souterraine et de surface, pour éviter un désastre sur un secteur agricole vital pour la région et pour l’économie nationale».

Il a également exhorté à rationaliser l’utilisation de l’eau, organiser l’irrigation et préserver l’accès à cette ressource pour les agriculteurs, tout en protégeant la santé des citoyens.

L’économie agricole à bout de souffle

Le secteur agricole libanais représente environ 5% du PIB, mais il fournit près de 20% des emplois en milieu rural. Il est donc bien plus qu’un secteur productif: c’est un pilier économique et social. Avec une sécheresse de cette ampleur, les conséquences sont multiples, poursuit l’expert qui cite «la réduction des exportations agricoles, la hausse des prix des produits locaux sur les marchés, la dépendance accrue aux importations, la fragilisation des agriculteurs déjà endettés et le risque de pénuries ponctuelles de certains fruits et légumes en été».

La sécheresse n’est pas une fatalité, mais sans une gestion intelligente et concertée de l’eau, le Liban risque de perdre une partie précieuse de sa richesse agricole.

«Investir dans des systèmes d’irrigation modernes, stocker efficacement les eaux pluviales, protéger les nappes et former les agriculteurs à une gestion durable de l’eau sont des pistes urgentes à activer», insiste l’agriculteur.

Parce qu’au Liban, si le ciel oublie de pleurer, ce sont les agriculteurs, et bientôt les consommateurs, qui risquent de le faire.

 

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