Sommeil fractionné: et si dormir en continu n’était qu’un mythe?
Alarme, horloge et femme dormant au lit avec dépression, fatigue ou anémie et faible énergie ou fatigue à la maison. ©shutterstock

Et si nos nuits n’étaient pas censées être continues? Le sommeil fractionné, longtemps considéré comme un trouble, retrouve aujourd’hui ses lettres de noblesse. Retour sur une pratique ancienne, bouleversante de modernité, qui pourrait changer notre manière de dormir.

Pendant des décennies, la norme était claire: une bonne nuit de sommeil devait être longue, ininterrompue et durer entre 7 et 9 heures. Ce que l’on appelle un sommeil monophasique. Pourtant, cette manière de dormir n’est pas si universelle, ni si naturelle qu’on pourrait le croire. En réalité, nos ancêtres ne dormaient pas comme nous, et des recherches récentes tendent à démontrer que le sommeil fractionné, loin d’être une anomalie, est peut-être plus en phase avec notre biologie.

Jusqu’au XIXe siècle, avant l’invention de l’éclairage électrique, le sommeil biphasique était une norme largement répandue. Les gens dormaient en deux parties: un «premier sommeil» à la tombée de la nuit, puis une période d’éveil calme au milieu de la nuit, et enfin un «second sommeil» jusqu’au matin. Cette veille nocturne était utilisée pour lire, prier, méditer, parfois même visiter ses voisins. Le tout sans stress ni sentiment d’insomnie.

L’historien Roger Ekirch est l’un des premiers à documenter cette réalité oubliée, en découvrant des centaines de références au «premier» et au «second sommeil» dans des lettres, journaux et manuels anciens. Le sommeil fractionné n’était pas un problème, c’était la norme.

Ce rythme ancestral s’est peu à peu modifié avec la généralisation de la lumière artificielle et l’évolution des rythmes de travail. La nuit est devenue linéaire, compacte, et tout décalage perçu comme un dysfonctionnement.

Qu’est-ce que le sommeil fractionné aujourd’hui?

Aujourd’hui, le sommeil fractionné ou sommeil polyphasique désigne un mode de repos divisé en plusieurs segments sur 24 heures. Contrairement au sommeil monophasique (une seule période) ou biphasique (deux), le sommeil polyphasique peut inclure trois, quatre ou même six périodes de sommeil plus courtes, réparties stratégiquement dans la journée et la nuit.

Ce mode de sommeil est pratiqué, par choix ou par nécessité, par:

  • des navigateurs solitaires ou des astronautes;
  • des parents de nourrissons;
  • des travailleurs de nuit;
  • des expérimentateurs du corps ou du temps.

Certaines variantes extrêmes (comme le cycle Uberman – 6 siestes de 20 minutes réparties dans la journée) ont été testées pour augmenter le nombre d’heures actives, mais elles restent difficiles à tenir sur la durée.

Les bienfaits potentiels du sommeil fractionné

Contrairement aux idées reçues, dormir en plusieurs fois n’est pas forcément moins réparateur. Plusieurs études montrent que ce qui compte avant tout, c’est la qualité du sommeil profond, pas sa continuité stricte.

Parmi les avantages souvent rapportés:

  • une meilleure adaptation aux horaires irréguliers;
  • plus de vigilance et moins de somnolence en journée grâce à des siestes bien placées;
  • une optimisation du sommeil profond: certaines siestes permettent d’y entrer plus rapidement;
  • moins de stress lié aux réveils nocturnes, souvent vécus comme pathologiques dans le modèle monophasique.

Des études sur les pilotes de ligne et des militaires ont montré que des stratégies de sommeil fractionné peuvent aider à maintenir la performance cognitive dans des environnements extrêmes.

Mais attention: ce n’est pas pour tout le monde

Le sommeil fractionné ne convient pas à tous les profils. Il demande:

  • une grande rigueur: les horaires doivent être respectés pour éviter l’accumulation de fatigue;
  • un environnement propice au repos à plusieurs moments de la journée;
  • une excellente connaissance de son corps et de ses rythmes.

Mal appliqué, il peut entraîner:

  • une dette de sommeil chronique;
  • des troubles de l’humeur ou de l’attention;
  • une désynchronisation de l’horloge biologique.

Ce modèle est donc à manipuler avec prudence. Il n’est pas recommandé sans accompagnement médical pour les personnes souffrant déjà de troubles du sommeil.

Une réconciliation avec nos rythmes naturels?

Si le sommeil fractionné fascine autant aujourd’hui, c’est parce qu’il résonne avec le besoin croissant de flexibilité dans nos vies modernes. Nos rythmes de travail, nos écrans, nos horaires décalés bousculent notre rapport au repos. Le sommeil monophasique, rigide et nocturne, n’est pas toujours compatible avec cette réalité.

Accepter que le sommeil puisse être modulable, qu’il n’a pas qu’un seul modèle valable, c’est aussi s’ouvrir à une vision plus personnalisée, plus intuitive du repos.

Des spécialistes du sommeil appellent aujourd’hui à dépathologiser certains rythmes atypiques. Se réveiller la nuit, faire la sieste, dormir en plusieurs phases ne sont pas forcément des troubles: cela peut être une expression naturelle du corps, surtout si la personne se sent reposée et fonctionne bien en journée.

Le sommeil fractionné nous oblige à repenser nos certitudes. Et si l’important n’était pas de dormir «comme il faut», mais de dormir comme notre corps nous le demande ? Plutôt que d’imposer un moule uniforme, il s’agirait d’écouter nos signaux internes, de composer avec nos contraintes et d’accepter que le sommeil soit pluriel.

Un bon sommeil, ce n’est peut-être pas huit heures d’affilée. C’est un sommeil qui régénère, qui s’adapte et qui nous permet de vivre pleinement nos journées.
 

Les principaux types de sommeil fractionné

 1- Everyman

Structure: 1 période de sommeil principal + 2 à 4 siestes
Exemple courant:
- 3 heures de sommeil la nuit;
- 3 siestes de 20 minutes dans la journée.
Total: environ 4 à 5 heures de sommeil par 24 h.
Avantage: plus flexible, mieux toléré par les débutants.
Attention: nécessite une régularité stricte

2- Uberman

Structure: 6 à 8 siestes de 20 minutes, toutes les 4 heures.
Pas de sommeil principal.
Total: 2 heures par 24 h.
Avantage: gain de temps extrême.
Attention: très difficile à maintenir sur le long terme, souvent abandonné.

3- Dymaxion (inspiré par Buckminster Fuller)

Structure: 4 siestes de 30 minutes toutes les 6 heures.
Total: 2 heures par 24 h.
Avantage: très court, rythmé.
Attention: réservé aux profils très expérimentés ou aux tests extrêmes.

4- Biphasique (ou sommeil segmenté)

Structure: 2 grandes périodes de sommeil (ex : 22h–2h, puis 4h–6h).
Total: 6 à 8 heures par 24 h.
Avantage: le plus naturel historiquement, facile à adapter.
Recommandé pour ceux qui se réveillent la nuit sans fatigue.

Bon à savoir: le sommeil fractionné n’est pas une méthode miracle: il doit être testé avec précaution.
L’efficacité varie d’une personne à l’autre. Il peut être utile dans des contextes spécifiques (navigation, décalage horaire, travail de nuit), mais n’est pas fait pour tout le monde.

 

Commentaires
  • Aucun commentaire