
Depuis les traités de paix signés entre Israël et certains pays arabes – comme l’Égypte en 1979 ou la Jordanie en 1994 – jusqu’à la vague de normalisations diplomatiques initiée en 2020 par les accords d’Abraham, deux notions reviennent sans cesse dans le débat: accord de paix et normalisation.
S’ils sont parfois utilisés de manière interchangeable, ces termes désignent en réalité des démarches distinctes, qui n’impliquent ni les mêmes conditions ni les mêmes résultats.
Deux démarches complémentaires mais différentes
Un accord de paix est un acte juridique et politique par lequel deux parties mettent fin à un conflit armé. Il s’accompagne généralement d’un engagement à ne plus recourir à la force, de la reconnaissance mutuelle et, parfois, de compromis territoriaux, sécuritaires ou diplomatiques.
Le traité de paix israélo-égyptien de 1979, par exemple, a mis fin à l’état de guerre en vigueur depuis 1948 et a permis le retrait israélien du Sinaï ainsi que l’établissement de relations officielles entre les deux États.
La normalisation, elle, intervient souvent après la mise en œuvre d’un accord de paix – bien qu’elle puisse aussi le précéder, dans certains cas – et consiste à établir des relations diplomatiques entre deux pays: échange d’ambassadeurs, coopération bilatérale, ouverture de liaisons aériennes, partenariats économiques, culturels et technologiques.
La normalisation n’implique pas nécessairement la résolution d’un conflit armé antérieur, comme l’ont montré les accords conclus en 2020 entre Israël et les Émirats arabes unis (EAU), le Bahreïn, le Maroc et le Soudan, qui n’avaient jamais été en guerre avec l’État hébreu.
Il est donc possible de conclure une paix sans normaliser immédiatement, tout comme il est possible de normaliser sans avoir eu à signer un traité de paix. Ce sont deux niveaux d’engagement différents: l’accord de paix met fin aux hostilités alors que la normalisation ouvre la voie à la coopération.
De la paix à la normalisation: le cas particulier des accords d’Abraham
Lorsqu’un conflit armé a eu lieu, la paix constitue généralement la première étape pour parvenir à une résolution. Elle établit les conditions juridiques et politiques nécessaires à l’ouverture de relations diplomatiques. C’est le cas de l’Égypte en 1979, puis celui de la Jordanie en 1994.
Dans ces deux cas, la normalisation est une conséquence directe de la paix, instaurant une séquence chronologique précise: la paix d’abord, la normalisation ensuite. L’ouverture d’ambassades, la coopération sécuritaire et les accords bilatéraux ont suivi la fin officielle de l’état de guerre.
Or, en 2020, plusieurs pays arabes ont entamé une normalisation diplomatique avec Israël sans que cela passe par une fin de conflit, puisque les relations étaient gelées, mais non conflictuelles.
L’argument avancé par les signataires, en particulier les EAU, tenait davantage à des intérêts géostratégiques et économiques qu’à une volonté de mettre fin à un conflit militaire.
Cette évolution a mis à mal la position traditionnelle du monde arabe, exprimée notamment dans l’Initiative de paix arabe de 2002, qui conditionnait toute normalisation à la création préalable d’un État palestinien viable.
Néanmoins, ces accords ont eu des retombées économiques substantielles pour les pays arabes signataires qui ont vu leurs échanges commerciaux s’intensifier de manière spectaculaire.
En 2022, le commerce bilatéral entre Israël et les EAU a dépassé les 2,6 milliards de dollars, contre seulement 125 millions en 2020. Plus de 120 accords ont été conclus entre les deux pays, couvrant des domaines aussi variés que la technologie, l’agriculture, la finance et l’énergie.
Le tourisme, lui aussi, a connu une envolée. En 2023, plus de 200.000 touristes israéliens se sont rendus aux EAU. Des liaisons aériennes directes ont été ouvertes entre Tel Aviv et plusieurs capitales arabes comme Abou Dhabi, Rabat ou Manama.
Ces flux humains et économiques contribuent à renforcer les liens bilatéraux et à créer un nouvel espace d’échange régional.
Le Liban et Israël: entre guerre non déclarée et absence de relations
Depuis 1948, date de création de l'État d'Israël, le Liban et l'État hébreu n'ont jamais signé de traité de paix. Le Liban a participé à la première guerre israélo-arabe en 1948, principalement pour soutenir ses voisins arabes, bien que son engagement militaire ait été limité. Un accord d'armistice a été signé en 1949, mais les relations entre les deux pays sont restées tendues, sans normalisation ni reconnaissance mutuelle.
Aucun ambassadeur n’a été nommé, aucune coopération officielle n’a vu le jour, et toute interaction est interdite par la législation libanaise qui criminalise les contacts avec Israël.
Cette position est renforcée par la présence du Hezbollah, formation militaire qui lutte contre Israël, rejetant toute reconnaissance de l’État hébreu et conditionnant toute paix à la restitution des territoires occupés.
Dans ce contexte, le Liban est devenu un champ de bataille entre Israël et le Hezbollah en 2006 puis en 2023. Un cessez-le-feu est entré en vigueur le 27 novembre 2024, prévoyant notamment le retrait des troupes israéliennes du Liban-Sud et le redéploiement du Hezbollah au nord du fleuve Litani.
Par ailleurs, l’accord de 2022 sur la délimitation de la frontière maritime a été négocié à distance et sans reconnaissance mutuelle explicite, évitant toute interprétation assimilable à une normalisation.
Ainsi, accord de paix et normalisation ne désignent pas la même chose, mais ils peuvent se renforcer mutuellement. Le premier met fin au conflit, la seconde construit des ponts. Le Liban, pris dans une logique de confrontation gelée depuis soixante-quinze ans, reste à l’écart de cette dynamique.
Commentaires