
Depuis l’élection du président Joseph Aoun, en janvier 2025, suivie de la formation du gouvernement, le Liban semble avoir retrouvé un petit souffle… du moins dans le secteur immobilier. Les transactions reprennent, les vendeurs spéculent, les acheteurs s’activent, mais les prêts hypothécaires brillent toujours par leur absence. Alors, miracle économique ou simple illusion d’optique?
Dès janvier, l’effet «stabilisation politique» a joué à plein régime. «Tous les acheteurs qui hésitaient depuis des années se sont rués sur le marché au premier trimestre», confie à Ici Beyrouth Karl Kanaan, directeur commercial de S. Gestion. Résultat? «Un grand nombre de ventes ont été conclues entre janvier et mars, avec une hausse progressive des prix».
Mais cette euphorie a eu un effet inattendu: «Les propriétaires, flairant la bonne affaire, ont commencé à retirer leurs biens du marché, espérant les vendre plus cher cet été». «Il s’agit, bien sûr, de spéculation pure», ajoute l’expert, «car sur le terrain, rien n’a vraiment changé… sauf l’humeur générale.»
«Aujourd’hui, le marché fait face à une drôle de situation: tout le monde veut acheter, mais plus grand monde ne veut vendre. À l’inverse des années précédentes, où tout le monde voulait vendre sans trouver preneur. Et ceux qui veulent encore vendre affichent parfois des prix… stratosphériques», poursuit M. Kanaan. En conséquence, le marché s’avère dynamique, mais un brin schizophrène.
Des prix qui s’envolent… mais pas partout
«Le marché immobilier n’est pas uniforme, loin de là», affirme M. Kanaan. Entre le neuf et l’ancien, entre Achrafieh et les banlieues, les écarts sont parfois abyssaux. Ainsi, pour donner une idée, dans le neuf, à Achrafieh, on parle de 3.500 $ – 4.000 $ le m², en moyenne. Un peu plus, un peu moins, selon l’étage, la vue, la qualité de l’immeuble. Dans l’ancien, à Achrafieh, il faut plutôt compter entre 2.000 et 2.500 $ le m², encore une fois selon l’état du bien.
Bref, l’immobilier à Beyrouth, c’est comme un souk: il faut négocier, comparer et surtout garder son calme.
Crédits immobiliers: seule la Banque de l’Habitat fait (encore) crédit
Pas de miracle du côté du financement. Les prêts immobiliers classiques sont toujours en hibernation. Seule la Banque de l’Habitat (BDH) continue de maintenir une lueur d’espoir, notamment pour les ménages à revenus faibles et moyens.
Son président, Antoine Habib, indique une hausse notable des demandes, précisant que «les crédits octroyés se comptent par milliers. Certains ont déjà été décaissés, d’autres sont en attente, notamment de documents relatifs aux services fonciers. Mais dans tous les cas, les demandeurs disposent d’un accord de principe».
Il insiste: «La Banque de l’Habitat reste pleinement engagée à soutenir les Libanais dans l’accès au logement, dans la limite de ses capacités.»
Le cadastre: une épreuve de patience… mais pas une impasse
Autre obstacle à l’accélération du marché: le cadastre. Si l’achat se fait en quelques semaines, l’enregistrement peut, lui, prendre quelques mois… ou une éternité.
À Beyrouth comme dans le Mont-Liban, les services du cadastre sont toujours englués dans de sérieuses difficultés. Fermés entre octobre 2022 et janvier 2024 à la suite de poursuites judiciaires pour corruption visant 124 fonctionnaires, ces services peinent encore à résorber l’énorme retard accumulé. À noter que le cadastre du Mont-Liban couvre un vaste territoire incluant Baabda, Aley, le Metn, le Chouf, Jounieh et Jbeil, ce qui accentue la surcharge.
«Les acheteurs arrivent à enregistrer leurs biens situés à Beyrouth, cela prend simplement plus de temps, mais en dehors de Beyrouth, cela reste très compliqué», glisse M. Kanaan, habitué du secteur.
Malgré ces défis, une certaine stabilité semble poindre. L’offre est faible, la demande reste soutenue et l’ambiance générale est bien plus optimiste que l’an passé. Mais pour que la tendance tienne, il faudra davantage que de bonnes intentions: un vrai soutien au financement, des réformes administratives et, surtout, une meilleure gestion des prix pour éviter que le rêve immobilier ne devienne un mirage réservé aux ultra-privilégiés.
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