Une révolution électrique, sans électricité
©Ici Beyrouth

Sur les routes libanaises dégradées, les klaxons résonnent en permanence. Un phénomène a cependant fait son apparition: les voitures électriques, de plus en plus nombreuses. Des véhicules chinois dernier cri se faufilent notamment entre les Range Rover fatigués et les taxis déglingués. Estampillés Zeekr, XPENG ou Voyah, ces modèles high-tech s’imposent discrètement au cœur d’un État en crise. Mais dans le pays des générateurs, la voiture verte cherche encore où se brancher.

C’est un phénomène en pleine expansion. Depuis 2021 et la pénurie d’essence qui a touché le Liban, le marché des voitures électriques est en développement au pays du Cèdre. Parmi elles, les voitures chinoises sortent du lot. Ces véhicules au look futuriste se répandent sur les routes libanaises.

Elles sont encore peu présentes, mais leur nombre augmente progressivement. En l’absence de statistiques officielles, BlomInvest Bank fait état de 29 véhicules électriques vendus en décembre 2024. Le marché reste certes modeste, mais ne cesse de croître. Le fabricant chinois BYD, quant à lui, affirme vendre une vingtaine de véhicules chaque mois au Liban.

Leur acquisition est accompagnée de facilités fiscales avantageuses. Depuis 2018, un soutien économique est mis en place au Liban pour les importations de véhicules électriques. Renouvelés dans la loi de finances de 2024, ces avantages prévoient une exonération de frais de douane sur les voitures électriques importées. À cela s’ajoute une réduction de 70% sur les frais d’enregistrement au Liban. 

Ces mesures rendent donc les marques chinoises, déjà compétitives à l’import, encore plus accessibles.

Au mois de juillet 2024, Farid Homsi, directeur général d’Impex, distributeur de la marque Zeekr, déclarait à l’occasion de son lancement au Liban: «Cette collaboration représente une avancée significative sur le marché local. Elle reflète notre engagement envers la durabilité et la technologie de pointe». 

À ces incitations fiscales s’ajoutent un design soigné, un riche équipement des véhicules de série et une autonomie compétitive.

Pour les modèles disponibles au Liban, l’autonomie varie entre 400 et 600 kilomètres. Mais en condition réelle, notamment sur terrain vallonné, cette distance peut se réduire de 15 à 20%. 

Face aux modèles européens, plus coûteux, les voitures chinoises séduisent les clients à la recherche de solutions plus abordables, de véhicules modernes et adaptés aux contraintes locales.

Un tournant qui marque une recomposition silencieuse, mais déterminante du parc automobile libanais.

La question se pose alors: pourquoi mettre de l’argent dans un SUV européen quand les marques chinoises proposent un meilleur rapport qualité-prix?

De plus en plus de jeunes professionnels et de familles urbaines libanaises se laissent séduire. Mais, selon le constructeur BYD, ce sont bien toutes les catégories de la population qui se lancent dans l’aventure électrique: «Nos clients représentent toute la société. Tous les âges sont représentés. Nous avons aussi bien des businessmen que des employés». 

Même si le prix de l’essence reste nettement plus bas qu’en Europe, le coût global de l’utilisation d’un véhicule thermique peut peser lourd dans le budget des ménages libanais, qui possèdent souvent plus d’une voiture.

Les véhicules électriques promettent une réduction des dépenses à l’usage. En théorie.

Une voiture sans prise?

Encore faut-il pouvoir recharger sa voiture: c’est là que le rêve se heurte à la réalité. Le nombre de bornes de recharge, bien qu’il n’existe aucun chiffre officiel de l’État, reste très faible.

La plateforme Chargemap, qui répertorie les bornes de recharge pour véhicules électriques, n’en recense qu’une douzaine au Liban. Le programme EV Zone, qui promettait 150 points en 2024, n’en a déployé qu’une quinzaine à ce jour.

D’autres initiatives privées complètent le réseau, notamment dans les parkings de certains centres commerciaux ou supermarchés. La société Medco a également installé plusieurs bornes de recharge dans ses stations services.

L’infrastructure reste tout de même insuffisante alors que le marché est en pleine expansion. Les propriétaires doivent donc trouver des moyens alternatifs: se brancher sur le générateur, installer des panneaux solaires ou bricoler des prises électriques.

Dans un pays où l’électricité publique reste une denrée rare, la facture s’envole.

Pour Georges, étudiant et conducteur, le casse-tête est réel: «J’ai fait installer chez moi un système pour recharger ma voiture, inclus dans le prix de celle-ci. Il n’y a pas de bornes de recharge près de mon université, et je ne peux pas laisser ma voiture à plusieurs kilomètres toute la journée. Ma facture d’électricité a augmenté».

Le constructeur BYD affirme fournir et installer gratuitement un système de charge lors de l’achat d’un véhicule, pouvant supporter 8 ampères.

Un marché encore flou

Autre frein: l’entretien. Même si ces véhicules chinois paraissent avantageux dans bien des domaines, le marché secondaire reste à construire. Les cotes ne sont pas encore fiables, et les pièces détachées sont parfois difficiles à obtenir.

Surtout, peu de garagistes sont formés pour entretenir et réparer ces nouveaux modèles. Les technologies utilisées sont souvent complexes et brevetées. En l’absence d’un réseau structuré, les utilisateurs doivent se tourner directement vers l’importateur. Un frein à la confiance dans un marché encore émergent.

Pour Fady, père de famille et propriétaire d’une voiture chinoise, l’entretien est une tâche complexe: «Je ne peux pas aller dans n’importe quel garage. Les mécaniciens ne savent pas comment réparer ou entretenir ma voiture. Je dois toujours me diriger vers mon fournisseur».

Cependant, la voiture chinoise s’adapte à certaines contraintes libanaises. Selon le groupe Impex, certains modèles permettent une autorecharge de la batterie pouvant monter jusqu’à 30% dans les descentes en régions montagneuses. Une fonction taillée pour les reliefs du pays. 

Mais la technologie ne suffit pas à combler l’absence de vision d’ensemble. La voiture électrique au Liban reste avant tout une initiative privée, un choix individuel dans un pays dépourvu de stratégie de mobilité durable. Une révolution sans politique publique.

Les voitures chinoises ont peut-être trouvé leur marché, mais pas encore leur pays.

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