
Une surprise qui n’en est pas véritablement une. Le fiasco total de la mouvance dite du «changement» lors des élections municipales en cours au Liban a suffi à confirmer, une fois de plus, une réalité que les députés de cette formation émergente ont longtemps tenté de dissimuler.
Ils se présentaient comme un nouveau souffle d’espoir dans un pays asphyxié. Portés par la vague de la révolution d'Octobre 2019, les prétendus députés du «changement» avaient multiplié les promesses: briser les chaînes de la corruption, faire tomber les baronnies politiques et redonner une voix à une jeunesse étouffée.
Plus de cinq ans plus tard, les urnes sonnent le glas d’un rêve avorté. Les élections municipales de 2025 confirment aujourd’hui un désaveu cinglant: les pourcentages recueillis par ces figures issues de la société civile sont non seulement très inférieurs à ceux des législatives de 2022, mais souvent en retrait par rapport aux modestes performances citoyennes de 2016. Le verdict est sans appel: le «changement» n’a pas eu lieu.
Et il ne s’agit pas là de simples paroles. Si le scrutin devait être l’occasion de tester à nouveau cette dynamique de changement au niveau local, lesdits députés ont réussi à transformer leur ascension dégradante en une humiliante débâcle politique et sociale. Les résultats confirment une perte dramatique de crédibilité. Chiffres à l’appui: les quelque 8% de voix obtenues, tant bien que mal, dimanche dernier lors de la troisième phase des municipales à Beyrouth, marquent un écart patent avec les résultats de 2016. Cette année-là, en raison de leurs tergiversations – dont les tenants et aboutissants ont été révélés plus tard –, ils avaient réussi à obtenir 35% des voix dans la capitale. Soutenue notamment par les parlementaires Ibrahim Mneimné et Paula Yacoubian, la liste «Beirut Madinati» – ou du moins une grande partie de ses candidats – semble aujourd’hui regretter cette alliance, la qualifiant même de nuisible pour leur «image», déjà ternie.
Ils avaient également profité de l’érosion de la base populaire de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri – érosion qui n’est plus d’actualité, vu le regain de popularité du leader sunnite – pour gravir les échelons.
Ainsi, en mai 2022, le succès électoral des députés dits du «changement» (avec 19 sièges remportés) reposait certes sur des racines populaires, mais il était avant tout lié à un facteur conjoncturel: l’effondrement momentané du courant sunnite traditionnel, conséquence directe du retrait de M. Hariri de la vie politique. Ce vide avait laissé un champ libre que les forces traditionnelles n’avaient pas pu combler à temps, ouvrant ainsi la voie aux candidats alternatifs pour séduire une population en quête de figures nouvelles, souvent plus par défaut que par adhésion à un programme structuré.
Le «vote de protestation» s’est alors vite «heurté» (ou a adhéré) à la réalité du système libanais: un labyrinthe confessionnel, clientéliste et verrouillé par des élites politiques solidement enracinées. Pris dans les filets des équilibres parlementaires, les députés du changement ont rapidement abandonné leur posture de rupture pour celle du compromis, se mettant ainsi à nu.
Ce qui devait être une opposition courageuse s’est donc transformé, pour nombre d’entre eux, en une série d’alliances ambiguës avec les mêmes forces qu’ils prétendaient combattre. Certains se sont retrouvés à voter aux côtés de partis accusés de clientélisme ou de détournement de fonds. D’autres ont accepté des postes au sein de commissions parlementaires dominées par les blocs traditionnels, y voyant une stratégie d’influence, mais donnant l’image d’une intégration au système.
La désillusion est d’autant plus forte que l’espoir était grand. Les symboles de la révolution se sont peu à peu dilués dans les jeux d’alliances, les rivalités d’ego et l’absence de coordination. L’un des échecs majeurs de ces députés fut leur incapacité à former un front uni, cohérent et programmatique. Chacun avançait en ordre dispersé, souvent plus préoccupé par sa visibilité médiatique que par la construction d’un projet collectif.
Le rêve d’un changement profond n’est toutefois pas mort au Liban. S’il a été galvaudé par ceux qui s’en sont faits les porte-paroles sans en assumer les exigences, l’espoir peut encore renaître. Pour cela, il faudra plus qu’un slogan ou qu’un vote de colère. Il faudra une stratégie claire, une structure organisationnelle solide, une autonomie réelle face aux anciens pouvoirs, affranchie des mécaniques confessionnelles et fidèle à ses principes. D’ici là, le Liban, en bonne Pénélope, attendra encore et toujours qu’apparaisse l’horizon d’un vrai renouveau.
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