Glamour démasqué: Cannes au féminin pluriel
©Ici Beyrouth

Cette année, les femmes n’ont pas seulement défilé sur le tapis rouge, elles ont pris position. À Cannes, le vêtement devient un langage. Moins d’artifice, plus d’intention. Une manière nouvelle d’être vue, et surtout, de se faire entendre.

Depuis toujours, le Festival de Cannes attire les regards autant pour ses films que pour ses tenues. Chaque année, les flashs capturent des robes spectaculaires, des traînes démesurées, des dos nus vertigineux. Mais en 2025, un autre scénario s’écrit sur la Croisette. Les femmes ne se contentent plus de briller, elles affirment, à travers leur style, une autre manière d’être présentes. Moins dans la séduction, plus dans la volonté. Moins dans le spectacle, plus dans la parole silencieuse du vêtement.

Le premier geste fort vient de Juliette Binoche, présidente du jury. Lors de la cérémonie d’ouverture, elle apparaît dans une silhouette épurée signée Dior, un ensemble blanc cassé, composé d’un haut à capuche et d’un pantalon en crêpe de soie. Ni robe corsetée, ni glamour appuyé. Une élégance simple, presque monacale. Et pourtant, un impact fort. Le vêtement cherche à signifier une présence calme et affirmée.



Juliette Binoche dans une silhouette épurée signée Dior. ©Sameer AL-DOUMY / AFP

Leïla Slimani, également membre du jury, suit une voie similaire. Connue pour son engagement en faveur de la diversité et de l’égalité, la romancière opte pour une robe-cape Dior blanche, structurée et sans exubérance. Son style traduit une forme de confiance tranquille. Loin des diktats habituels du tapis rouge, elle choisit une allure qui lui ressemble. 

Leïla Slimani a opté pour une robe-cape Dior blanche.©Sameer AL-DOUMY / AFP

Nouvelles règles imposées

Ce changement ne relève pas uniquement d’un choix personnel. Il est aussi lié à une décision institutionnelle : le Festival a modifié son règlement vestimentaire. Les robes trop transparentes, les fentes trop hautes et les traînes de plusieurs mètres sont désormais interdites. Officiellement, il s’agit d’assurer la fluidité du défilé sur le tapis rouge et de maintenir un certain niveau de décence. Officieusement, cette évolution crée un espace où l’expression de soi prend le pas sur la surenchère.

L’actrice italienne Alba Rohrwacher en robe noire. ©Sameer AL-DOUMY / AFP

Certaines stars ont dû s’adapter. Halle Berry, qui devait initialement porter une création spectaculaire de Gaurav Gupta, a été contrainte de changer de tenue. Elle est finalement apparue dans une robe Jacquemus noire et blanche, sans traîne ni paillettes. Une tenue impeccable et sobre, loin de ce qu’on attendait d’elle. Interrogée sur ce choix, elle a simplement répondu qu’elle n’avait «aucune intention d’en faire trop cette année». Une façon de dire qu’exister suffit.


Halle Berry en robe noire et blanche signée Jacquemus. ©Sameer AL-DOUMY / AFP

Autre exemple, Hafsia Herzi. Venue présenter La Petite Dernière, son film en compétition, la réalisatrice française choisit une robe en velours rouge foncé, cintrée mais sans extravagance. Le col relevé, les cheveux tirés, elle s’inscrit dans une posture de cinéaste, pas de starlette. Son film aborde les tensions sociales liées à la maternité et au milieu ouvrier; sa tenue semble y faire écho. 


À droite, Hafsia Herzi. Venue présenter La Petite Dernière, son film en compétition, la réalisatrice française choisit une robe en velours rouge foncé, cintrée mais sans extravagance. © Miguel MEDINA / AFP

Il ne s’agit pas d’un rejet du glamour. Plutôt d’un déplacement. Le glamour ne disparaît pas, il change de fonction. D’écran, il devient langage. D’obligation, il devient choix. Certaines continuent d’en jouer, comme Eva Green dans une robe rouge évoquant les héroïnes hitchcockiennes. Mais même ce geste spectaculaire semble aujourd’hui plus maîtrisé. On n’orne plus les corps, on les habite.

Les médias suivent ce glissement. On note moins de commentaires sur les tenues suggestives et davantage d’attention portée aux discours. Le style devient un prolongement du message. On ne décrit plus seulement ce que portent les femmes, on écoute ce qu’elles disent, et ce que leurs vêtements sous-entendent.

Ce basculement est révélateur. Il reflète une époque où les femmes dans le cinéma, trop longtemps cantonnées à des rôles secondaires ou objets, reprennent la main. À travers leurs choix vestimentaires, elles affirment leur place. Elles ne veulent plus être mises en scène malgré elles. Elles veulent écrire leur propre scénario, jusque sur le tapis rouge.

On pourrait y voir une mode passagère. Ce serait mal comprendre l’ampleur du mouvement. Ce que les robes, tailleurs et capes de cette édition racontent, c’est une volonté de cohérence entre ce qu’on est, ce qu’on pense, et ce qu’on montre. Une souveraineté tranquille, une manière de dire: «Je suis là. À ma manière.»

À Cannes cette année, le vêtement féminin a cessé d’être un masque, il est devenu un manifeste.

Une silhouette, 200 heures

La tenue Dior portée par Juliette Binoche lors de la cérémonie d’ouverture a nécessité plus de 200 heures de travail, selon la maison française. Entièrement réalisée en crêpe de soie blanc cassé, cette création sur mesure mêle fluidité, capuche minimaliste et allure sculpturale. Un exemple de couture invisible, où l’exigence technique épouse la discrétion du geste.

Commentaires
  • Aucun commentaire