Léon XIV face à «une planète et quatre ou cinq mondes»

Une fois de plus, le dicton «On entre au conclave pape, on en sort cardinal» se vérifie. L’élection de l’évêque américain originaire de Chicago, Robert F. Prevost, un religieux augustien, supérieur d'ordre, nommé il y a deux ans préfet du dicastère des évêques, comme successeur de Saint Pierre a déjoué tous les pronostics. Mais, la surprise passée, son premier discours, du haut de la loggia centrale de la basilique Saint-Pierre, permet de le situer, pastoralement et doctrinalement: l’homme s’inscrit dans le prolongement de l’action du Pape François, auquel son premier discours rend hommage. C'est d'abord un pasteur, c'est-à-dire un homme qui, sachant que l'Église est à la fois «mère et éducatrice» (mater et magistra), considère qu'elle est «d'abord mère». 

Ce qui le confirme aussi, outre l'hommage à François, c’est le nom quelque peu sorti d’usage par lequel il a choisi de se faire appeler. Le dernier pape à user de ce prénom, Léon XIII, est le pape de la transition entre le 19e et le 20e siècle. Décédé en 1908, il est connu en particulier comme le pape de l’encyclique Rerum Novarum et de la doctrine sociale de l’Église. Il semble certain que son successeur sera le pape de la justice sociale et du souci des pauvres. Il sera aussi, selon les termes de son premier discours, celui de la «paix désarmée et désarmante», dans un monde où de nouveaux foyers de guerre éclatent, avant qu’on ait eu le temps et les moyens d’éteindre ceux qui existent.

Léon XIII est aussi – c’est moins connu – celui qui, sur les conseils de la religieuse Elena Guerra, que le pape saint Jean XXIII appelait «l’apôtre de l’Esprit Saint» et que François a canonisée, entama le XXe siècle, le 1er janvier 1901, par le Veni Creator Spiritus (Viens Esprit créateur), invocation qui coïncida avec la naissance du Pentecôtisme, l’un des courants les plus vigoureux de la mission chrétienne au XXe siècle. De sa vitalité héritera, dans les années 60 du siècle passé, le Renouveau charismatique dans l’Église catholique, un «courant de grâce»  auquel on doit un nouveau printemps de l’Église dans beaucoup de pays du monde, y compris aux États-Unis.

En se positionnant en continuateur de François dans certains domaines, le nouveau pape a tacitement endossé les grands aspects de la réforme lancée par son prédecesseur, notamment le Synode sur la synodalité, pour une gestion plus inclusive des affaires de l’Église. Une gestion qui, sans remettre en question le principe de l’autorité pontificale, fait place à une écoute plus attentive des collèges épiscopaux et de «la base» dans la prise des décisions, comme à une présence plus respectueuse de la femme et des laïcs en général, y compris au sein de la curie, l’administration du Vatican. François y nomma une quinzaine de femmes, en opposition totale avec un cléricalisme masculin dominateur, relique d’un autre âge.

Il n’est pas non plus anodin de souligner l’importance de l’élection d’un pape citoyen de la première puissance mondiale, les États-Unis. Le président Trump a beau s’être senti honoré – et il y a de quoi –, voici que se dresse face à lui un homme dont l’autorité morale entrera certainement en contradiction avec la sienne sur certains dossiers, bien que près de 64% des Catholiques des États-Unis soient favorables au président républicain.  

Comme l’écrivait hier très justement le journal La Croix, «le nouveau pape a repris le message rassembleur et inclusif de son prédécesseur, et jusqu’à cette image “des ponts”, que François avait souvent opposée aux murs, en particulier quand Donald Trump envisageait d’en construire un à la frontière entre le Mexique et les États-Unis».

On verra bientôt ce qu’il en sera avec une cause palestinienne où tous les ponts entre Israël et le Hamas semblent rompus.

Une Église missionnaire

Saluant ses anciens diocésains péruviens, Léon XIV, qui a longtemps vécu au Pérou, a appelé à «une Église missionnaire», une Église qui fait face à une diversité déroutante et dont la vérité et la justice sont souvent absentes. «Nous voulons être une Église synodale, en marche, qui recherche la paix, la charité, à être proche particulièrement des personnes qui sont dans la souffrance», a-t-il statué. En le choisissant, les cardinaux confirment ainsi le choix d’une Église toujours en mission, dont l’un des plus grands défis sera la lutte contre le «relativisme éthique», une idéologie qui a transformé toute l’Europe occidentale, ainsi que tous les esprits colonisés par ses moyens de communication, en «terre de mission».

Églises orientales

Et certes, c’est dans un monde complètement différent de celui de saint Pierre ou de Léon XIII que le nouveau pape est appelé à proclamer le kérygme originel de l’Église, la résurrection du Christ, la conversion personnelle et le salut, et à en dégager le terrain, pour ses apôtres, des obstacles qui s’y dressent: unité des catholiques et pacification des «traditionalistes», dialogue avec le monde orthodoxe, dialogue interreligieux avec l’islam et le bouddhisme, questions éthiques, finances du Vatican, abus et emprise des prédateurs sexuels, relations avec les Juifs, statut de Jérusalem et des lieux saints, guerre en Ukraine et au Soudan, radicalisme islamique en Afrique noire, défi de Taïwan, etc. 

Le défi prioritaire reste celui, spirituel, d’annoncer l’Évangile dans les civilisations diversifiées et hétérogènes décrites par le poète, diplomate et prix Nobel mexicain, Octavio Paz, dans son ouvrage Une planète et quatre ou cinq mondes (sans compter ce qu'on appelle le «continent numérique»).  Des mondes marqués soit par d’autres religions que le christianisme, soit par d’autres systèmes de valeurs, soit par d’autres dynamiques de pouvoir ou de production économique. Parmi ces «mondes» figure, bien sûr, le «monde islamique» et les différents berceaux du christianisme.

Pour les Églises orientales, l'avenir passe par le service qu’elles peuvent rendre à l’ensemble de la population, «grâce aux opportunités de rencontres et de dialogues», amorcés par le pape François avec les grands responsables sunnites et chiites», juge Mgr Pascal Gollnisch, ancien directeur de L’Œuvre d’Orient, qui préjuge ainsi de l'appréciation que le nouveau pape fera de la situation, de son attachement à la doctrine sociale de l'Église et de l'art consommé que lui prête l'archevêque d'Alger, Jean-Paul Vesco, de travailler en équipe.

«Les chrétiens orientaux ne doivent pas être défendus de manière identitaire, comme une minorité dont il faut assurer la survie, mais comme une composante essentielle des sociétés dans lesquelles ils remplissent leur mission au service de tous», assure encore le président sortant de L'Œuvre d'Orient, une association née au 19e siècle et dont les responsables et bénévoles se retrouvent dans tous les pays de présence chrétienne du Moyen-Orient. 

«Quinze ans après le synode des Églises du Moyen-Orient et la remise de l’exhortation apostolique par le pape Benoît XVI, Ecclésia in medio Oriente, l’élaboration de la doctrine sociale de l’Église, adaptée à leurs sociétés orientales serait un signal fort», juge encore Pascal Gollnish, exhortant «les chrétiens d'Orient» à «concrétiser l’Évangile en allant à la périphérie dans leur propre pays».

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