
Le film Partir un jour d’Amélie Bonnin, entre comédie musicale et drame familial, ouvre le 78ᵉ Festival de Cannes. Il explore le tiraillement entre fidélité à ses origines et quête de liberté à travers le parcours d’une cheffe cuisinière.
Trahit-on son milieu quand on le quitte? Film musical et enchanteur, Partir un jour, qui suit une cheffe cuistot de retour dans son village et ses souvenirs d'enfance, ouvre le 78e Festival de Cannes mardi, jour de sa sortie en salles.
Sa réalisatrice française Amélie Bonnin décroche ainsi les honneurs d'une projection cannoise pour son premier film, variation d'un court-métrage qui lui avait valu un César en 2023 et affichait déjà au casting la chanteuse française Juliette Armanet et l'acteur césarisé Bastien Bouillon (La Nuit du 12).
«C'est hyper vertigineux, dit-elle à l'AFP. C'est là qu'on est content d'être bien entouré. Ce sont quand même des moments où, paradoxalement, on est très exposé et où il y a beaucoup de monde, mais où on peut se sentir seule.»
Partir un jour suit les pas de Cécile (Juliette Armanet), talentueuse cheffe cuisinière et femme libre, percutée par la vie alors qu'elle s'apprête à réaliser son rêve en ouvrant un restaurant gastronomique à Paris.
La voilà contrainte de retourner dans le village de son enfance pour aller au chevet d’un père à la santé fragile et au verbe acide (François Rollin), qui refuse de lâcher les rênes du modeste restaurant routier qu'il fait tourner depuis toujours avec son épouse (Dominique Blanc).
Un test de grossesse vient également faire vaciller le fragile équilibre de cette quadragénaire qui avait quitté ses terres natales après avoir remporté l’émission culinaire Top Chef.
De retour dans son village, Cécile subit le procès en snobisme et en trahison de ceux qui n'en sont jamais partis et va recroiser la route d’un amour de jeunesse au goût d’inachevé (Bastien Bouillon).
Ce qui pourrait fournir la trame d’un drame naturaliste prend ici la saveur d’une comédie acidulée et nostalgique grâce à l’irruption dans le récit de chansons de variété qu’interprètent les comédiens.
Pour que tu m’aimes encore de Céline Dion, Paroles, Paroles de Dalida, Cécile ma fille de Nougaro mais aussi Femme like U de K. Maro... Ce patrimoine musical très français s’infiltre dans la narration en même temps qu’il dévoile l’âme de personnages en mal de communication.
Tiraillement
«C’était essentiel que ces chansons ne fassent pas sortir de l’histoire, qu’il n’y ait pas des séquences dédiées aux chansons comme dans une comédie musicale à la Broadway», pointe Amélie Bonnin, qui avait déjà fait se mêler dialogues et morceaux populaires dans son court-métrage de 2023.
«Ces morceaux de variété, ça fait appel à notre mémoire collective, un peu comme la cuisine», observe-t-elle. «La mémoire des goûts, des odeurs est un peu similaire à celle des musiques et des chansons qui ont accompagné nos vies.»
Si le chant a été naturel pour Juliette Armanet, le chemin a été plus tortueux pour Bastien Bouillon, qu’on découvre en garagiste fan de moto dissimulant son intranquillité derrière une carapace de forte tête.
«J’avais un peu du mal à croire en moi dans une comédie musicale, mais ça m’a plu de venir travailler un endroit moins habituel pour un comédien», raconte cet amoureux du chant à l’AFP. «Ça ouvre le corps très fort. Pour moi, c’est beaucoup plus puissant qu’une séance de psy.»
Sous son côté pop, Partir un jour apporte aussi subtilement sa pierre aux réflexions sur la difficulté de s’émanciper de ses origines sans les trahir.
«Dès qu’on part de chez ses parents, il y a sans cesse un tiraillement entre notre volonté d’être aligné avec les valeurs qu’on a reçues et la liberté qu’il faut s’accorder de se laisser porter vers d’autres passerelles», estime Amélie Bonnin, que la projection cannoise comble et inquiète.
«Tant qu’un film n’est pas montré, on ne mesure pas vraiment ce qu’on y a mis de soi», dit-elle. «Ce sont des choses qu’on découvre au même moment où on se rend compte que plein de gens vont le voir et émettre un avis dessus. Ça a quand même quelque chose d’assez violent.»
Par Jérémy TORDJMAN / AFP
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