Détox: cure miracle ou illusion marketing ?
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Boissons vertes, jeûnes intermittents, compléments «purifiants»: les cures détox ont envahi notre quotidien. Peuvent-elles réellement à «nettoyer» l’organisme ou surfent-elles sur une tendance bien rodée? État des lieux d’un phénomène aussi séduisant que controversé.

Chaque début d’année, après les excès des fêtes, ou à l’approche de l’été, le mot «détox» revient en force. Jus de céleri, tisanes drainantes, régimes express, compléments alimentaires aux noms évocateurs – autant de promesses d’un corps purifié, léger, prêt à affronter une nouvelle saison. L’idée est simple et séduisante: éliminer les toxines accumulées, nettoyer l’organisme et retrouver énergie et clarté d’esprit. Mais sur quoi repose cette promesse? Est-il réellement possible de «nettoyer» son corps comme on fait le ménage dans un appartement? Ou sommes-nous les victimes consentantes d’une vaste opération marketing?

La détoxification n’a rien de nouveau. Déjà dans les médecines traditionnelles, ayurvédique, chinoise ou naturopathique, l’idée d’un «nettoyage intérieur» était centrale. On purgeait, on jeûnait, on transpirait dans des hammams pour «faire sortir le mal». Mais depuis les années 2000, la «détox» a changé de visage. Plus glamour, plus rapide, souvent sponsorisée par des célébrités, elle s’est installée dans les rayons des supermarchés et les fils Instagram.

Aujourd’hui, on ne parle plus de bile noire ni de rééquilibrage des humeurs, mais de «toxines», de «métaux lourds» ou de «radicaux libres». Le vocabulaire est pseudoscientifique, le discours millimétré; notre corps serait saturé par la pollution, l’alimentation industrielle, le stress, et la seule échappatoire serait une cure, de préférence payante, pour tout remettre à zéro.

Les organes de la détox existent… mais ils ne se vendent pas

Premier constat. Oui, notre corps est équipé pour se détoxifier. Le foie, les reins, les intestins, les poumons et la peau forment un système extrêmement efficace pour filtrer, métaboliser, éliminer les déchets et les substances toxiques. À condition, bien sûr, que ces organes fonctionnent correctement.

Comme l’indique le site de l’Inserm, le foie joue un rôle majeur dans la transformation des substances potentiellement toxiques qu’il rend solubles pour qu’elles soient éliminées dans les urines ou les selles. Il n’a pas besoin d’être «nettoyé» par des jus ou des poudres miracles, il a besoin de repos, de nutriments et d’un mode de vie équilibré. Autrement dit, une «détox» n’a d’intérêt que si elle revient à supprimer les excès et à adopter une meilleure hygiène de vie. Mais en ce sens, il ne s’agit plus vraiment d’un «nettoyage» ponctuel, plutôt d’une remise à niveau durable.

Le succès des cures détox repose en grande partie sur leur aspect rassurant et ritualisé. Le fait de boire des jus pressés à froid pendant trois jours ou de suivre un jeûne intermittent donne l’impression de reprendre le contrôle de son corps, de faire une pause. Il y a là un effet psychologique puissant, et parfois un effet placebo bien réel.

De nombreuses études, comme celle publiée dans le Journal of Human Nutrition and Dietetics (2015), concluent qu’il n’existe aucune preuve scientifique solide de l’efficacité des produits ou des régimes détox. Toutefois, certaines personnes disent se sentir mieux après une cure; cela tient souvent à l’arrêt temporaire de l’alcool, du sucre, des aliments ultratransformés, et à une meilleure hydratation.

Là réside toute l’ambiguïté du terme «détox» qui suggère une action ciblée, comme si un aliment ou une molécule pouvait «nettoyer» notre organisme, alors qu’en réalité, le bénéfice vient de l’arrêt temporaire des agressions. C’est un peu comme si on félicitait un aspirateur pour la propreté d’une pièce… alors qu’on avait simplement arrêté de la salir.

Marketing de la culpabilité

L’un des moteurs les plus puissants du succès des détox est la culpabilité. Celle de trop manger, de ne pas faire assez d’exercice, de ne pas être «clean». Le discours détox véhicule une vision moralisatrice du corps: il faudrait l’alléger, l’assainir, le rendre digne. Les réseaux sociaux et les influenceurs bien-être ne font qu’enfoncer le clou avec des hashtags comme #CleanEating ou #HealthyVibesOnly.

Une analyse sociologique publiée dans Social Science & Medicine en 2018 met en lumière ce discours culpabilisant qui oppose un corps «toxique» à un corps «purifié» et renforce les normes de minceur et de contrôle de soi. Cela peut générer de l’anxiété alimentaire, voire des troubles du comportement chez certaines personnes.

Certaines pratiques détox, sous couvert de bienveillance, peuvent se révéler dangereuses. Le jeûne strict sans suivi médical, les monodiètes extrêmes (ne manger que du raisin ou du riz pendant plusieurs jours) ou les laxatifs à répétition peuvent provoquer des carences, des troubles digestifs, voire des déséquilibres graves. L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire) a d’ailleurs mis en garde contre les régimes déséquilibrés ou restrictifs, qui «n’ont pas démontré leur efficacité à long terme» et peuvent altérer la santé. Le corps a besoin d’équilibre, pas de chocs.

De même, attribuer tous ses maux à des «toxines» imaginaires peut détourner des véritables causes médicales. Fatigue chronique, maux de tête, troubles digestifs doivent d’abord être examinés par un professionnel de santé, et non traités à coups de jus de citron et de gingembre.

Alors faut-il bannir la détox? Pas forcément. Si elle s’inscrit dans une démarche globale de mieux-être, qu’elle n’est pas extrême et qu’elle ne remplace pas un suivi médical, elle peut avoir un effet bénéfique. Mais il s’agit moins de «nettoyer» son corps que de prendre soin de soi.

Manger plus de fruits et légumes, boire davantage d’eau, réduire l’alcool, mieux dormir, bouger plus, voilà la vraie «détox», accessible à tous, durable et gratuite. En fin de compte, le corps humain n’est pas une machine encrassée qu’on décape ponctuellement. Il est vivant, adaptable et bien plus intelligent que tous les programmes détox réunis. Mieux vaut lui offrir constance et équilibre que cures miracles et frustrations.

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