Pourquoi certains bijoux du pape sont-ils détruits après sa mort?
Le corps du pape François repose en chapelle ardente dans la basilique Saint-Pierre, au Vatican, le 23 avril 2025. ©Tiziana Fabi / AFP

À la mort d’un pape, certains de ses bijoux sont volontairement détruits, à commencer par l’anneau du pêcheur. Ce geste rituel marque symboliquement la fin de son autorité spirituelle et empêche toute tentative de manipulation ou d’usurpation posthume.

Lorsque meurt un pape, ce ne sont pas seulement les prières du monde catholique qui accompagnent son départ. Dans l’ombre, un rituel se met en place, codifié, discret et souvent méconnu, comme la destruction de certains de ses bijoux. Parmi eux, le plus célèbre est l’anneau du pêcheur, brisé rituellement en public. Mais d’autres objets - sceaux, croix pectorales, insignes personnels - peuvent également être détruits, neutralisés ou mis sous scellés. Pourquoi ce geste, rare dans l’univers monarchique ou présidentiel? Que révèle-t-il de la nature du pouvoir pontifical et de la culture politique de l’Église catholique?

Un anneau pas comme les autres

Porté à l’annulaire droit du pape, l’anneau du pêcheur (en latin anulus piscatoris) est bien plus qu’un bijou. Il représente le lien direct entre le pape et sa fonction comme successeur de saint Pierre, le pêcheur d’hommes. Cet anneau est unique à chaque pontificat, puisqu’ il porte le nom du pape en latin, ainsi que l’image de Pierre lançant ses filets. Il a longtemps été utilisé pour sceller les documents officiels, marquant leur authenticité par empreinte de cire.

À la mort du souverain pontife, cet anneau est publiquement brisé - traditionnellement à coups de marteau, parfois aujourd’hui de manière plus symbolique -lors de la période appelée sede vacante (le siège étant vacant). Ce geste marque la fin de toute autorité pontificale. Il empêche aussi toute tentative de falsification de documents en usurpant le sceau du défunt. La destruction de l’anneau est donc à la fois symbolique et sécuritaire.

Le Camerlingue, maître du rituel

Le rituel est présidé par le camerlingue, c’est-à-dire l’administrateur du Vatican pendant la vacance du pouvoir papal. Ce dernier est chargé de vérifier le décès du pape, d’organiser les funérailles, et de superviser le conclave. C’est lui qui brise l’anneau du pêcheur en présence de cardinaux, à l’aide d’un instrument spécifique (souvent un marteau d’argent). Ce moment n’est pas seulement administratif: c’est une mise en scène de la fin d’un pouvoir sacré, qui souligne que l’homme, fût-il pape, ne fait que passer, là où la fonction demeure. Mais l’anneau n’est pas seul à disparaître ou à être neutralisé. D’autres objets personnels ou symboliques peuvent être retirés de la circulation après la mort du pape.

Que deviennent les autres bijoux pontificaux?

Au-delà de l’anneau du pêcheur, les papes disposent de divers objets de valeur liturgique ou personnelle: croix pectorale, bague personnelle, insignes particuliers, parfois bâton pastoral, mitre ornée, ou ferula (le bâton croisé d’une croix utilisé par le pape). Si ces objets ne sont pas tous systématiquement détruits, ils font l’objet d’un inventaire très précis et sont placés sous scellés. Certains sont conservés au Vatican, d’autres confiés aux archives ou aux musées.

Par exemple, les croix pectorales portées par les papes peuvent, selon la tradition, être remises à des musées, offertes à titre posthume à des proches, ou fondues si elles portent un caractère trop personnel. Leur sort dépend du contenu symbolique qu’on leur attribue: tout ce qui est rattaché directement à l’exercice de l’autorité spirituelle est en principe neutralisé à la fin du pontificat.

Le cas de la férule (bâton pontifical) est intéressant: les papes récents, comme Jean-Paul II ou François, ont utilisé leur propre modèle, au design personnel, distinct du bâton d’or traditionnel. Ce choix témoigne d’une individualisation du pontificat, et dans certains cas, ces objets entrent dans les collections historiques après leur décès. Mais si la férule a été offerte, ou si elle reste attachée symboliquement à leur autorité, elle peut aussi être mise à l’écart du culte.

Une logique héritée du passé

Ce rituel s’inscrit dans une tradition médiévale de neutralisation du pouvoir sacré. À une époque où les papes étaient aussi souverains temporels, la mort du pontife soulevait des enjeux politiques majeurs. Il fallait éviter toute continuité frauduleuse, empêcher la circulation de faux documents, et couper net tout pouvoir qui serait «survivant» dans les objets.

La destruction de l’anneau ou de certains bijoux s’inspire de pratiques royales antiques, où l’on brisait le sceptre ou le sceau du roi défunt. Dans le cas du pape, l’enjeu est encore plus fort, car il ne s’agit pas seulement d’un roi, mais d’un vicaire du Christ sur terre. La fin de son pouvoir doit être claire, incontestable, visible aux yeux de tous.

Ce geste, d’ailleurs, ne se limite pas à la mort. En 2013, lors de l’abdication de Benoît XVI, l’anneau du pêcheur a été marqué d’un X pour indiquer qu’il ne serait plus jamais utilisé. Même si le pape n’était pas mort, la fonction prenait fin et avec elle, tous les objets associés à son autorité active.

Cependant, ce rituel entre parfois en tension avec la volonté de préserver la mémoire du pontife défunt. Dans une époque où tout est archivé, numérisé, muséifié, la disparition volontaire d’objets liés à un pape peut surprendre. Certains regrettent que des objets d’une grande valeur historique soient détruits alors qu’ils pourraient témoigner de la richesse matérielle et spirituelle d’un pontificat. D’autres estiment au contraire que cette disparition volontaire est une leçon de modestie, fidèle à l’esprit évangélique: le pouvoir n’appartient pas à l’homme, mais à la mission.

L’Église elle-même s’adapte. Si l’anneau officiel est détruit, il n’est pas rare que le pape possède d’autres bagues ou bijoux personnels - offerts, hérités, ou portés dans l’intimité - qui sont conservés. Certains entrent dans les collections privées du Vatican, d’autres sont exposés au public, comme la croix pectorale de Jean-Paul II, aujourd’hui visible dans plusieurs musées.

La destruction de certains bijoux papaux n’est ni un acte barbare ni une simple formalité, c’est un geste politique, spirituel et symbolique. Il rappelle que le pouvoir pontifical est une fonction passagère, non une propriété personnelle, et que la foi repose sur l’humilité du service plutôt que sur le prestige. Ce rituel protège également l’Église contre les fraudes et manipulations posthumes. Dans le cas du pape François, cette tradition prend un relief particulier: lui qui avait refusé tout apparat, optant pour une bague en argent au quotidien et recevant en 2013 un anneau du pêcheur en argent doré plutôt qu’en or massif, s’est toujours inscrit dans une logique de sobriété radicale. En rendant cet anneau inutilisable après sa mort, le 21 avril 2025, l’Église clôt non seulement un pontificat, mais souligne aussi, à travers ce dernier geste, la cohérence d’un pape qui aura vécu et régné sans jamais s’attacher aux symboles matériels de son pouvoir.

 

 

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