Quand l’art rejoint la foi: Antoni Gaudí sur le chemin de la sainteté
©Ici Beyrouth

Antoni Gaudí franchit une étape décisive vers la béatification. Le pape François vient de reconnaître les vertus héroïques de l’architecte catalan, lui conférant le titre de «vénérable». Un hommage à sa foi autant qu’à son génie artistique.

Le 13 avril 2025, par décret officiel, le pape François a reconnu les vertus héroïques d’Antoni Gaudí, octroyant au célèbre architecte catalan le titre de «vénérable». Cette distinction marque une avancée majeure sur le chemin de la béatification, qui pourrait, à terme, conduire à la canonisation de celui que l’on surnomme «l’architecte de Dieu». Connu dans le monde entier pour la Sagrada Família, basilique inachevée devenue emblème de Barcelone, Gaudí est désormais honoré par l’Église pour la profondeur de sa spiritualité. Cette décision pontificale couronne plus de vingt ans d’efforts. La procédure de béatification avait été lancée en 2000 à Barcelone à l’initiative du cardinal Ricard Maria Carles, avant d’être transmise à Rome en 2003. Depuis, experts, théologiens et médecins ont minutieusement étudié sa vie, son œuvre et sa foi. La déclaration de «vénérable» intervient après que la Congrégation pour les causes des saints a estimé que Gaudí avait pratiqué de manière «exemplaire et héroïque» les vertus chrétiennes: foi, espérance, charité, prudence, justice, force et tempérance.

Une spiritualité incarnée dans la pierre

Cette reconnaissance du Vatican ne surprendra pas les connaisseurs de l’œuvre et de la vie de Gaudí. Profondément croyant, nourri de liturgie et de contemplation, l’architecte concevait son art comme une extension de sa foi. À partir des années 1880, il se consacre presque exclusivement à la Sagrada Família, adoptant un mode de vie ascétique dans l’atelier même de la basilique. Il mène une existence austère, quasi monastique, partageant ses maigres ressources avec les nécessiteux, dormant sur une simple paillasse et se vouant entièrement à la prière, au travail et à la méditation. Son architecture elle-même devient une prière de pierre. Les formes organiques, les jeux de lumière, les proportions symboliques et les éléments naturalistes de ses créations témoignent d’une volonté de refléter la beauté de la création divine dans l’art humain. La Sagrada Família, dont Gaudí ne vit que la crypte et la façade de la Nativité achevées avant sa mort tragique en 1926, est aujourd’hui considérée non seulement comme un chef-d’œuvre de l’Art nouveau, mais aussi comme un sommet d’architecture spirituelle.

Le processus de béatification: un long chemin vers les autels

La voie vers la canonisation comporte quatre étapes principales: serviteur de Dieu, vénérable, bienheureux, puis saint. L’ouverture d’un procès en béatification marque la première phase, conférant le titre de «serviteur de Dieu». Vient ensuite l’examen approfondi de la vie, des écrits et du comportement du candidat, afin d’établir s’il a pratiqué les vertus chrétiennes de manière héroïque – étape que Gaudí vient de franchir. Pour accéder à la béatification, un miracle doit être attribué à son intercession. Ce miracle – souvent une guérison médicalement inexplicable – est examiné par une commission scientifique du Vatican, puis par des théologiens et, en dernier ressort, par le pape. Une fois le miracle reconnu, la personne est déclarée «bienheureuse» et peut faire l’objet d’un culte local. Pour la canonisation, qui permet un culte universel dans toute l’Église, un second miracle est requis.

Dans le cas de Gaudí, un dossier de miracle est déjà en cours d’examen au Vatican: celui d’un homme guéri d’une tumeur maligne après avoir prié l’architecte. Si ce miracle est validé, la voie vers sa béatification serait ouverte. Rien n’est toutefois encore officiellement confirmé. La potentielle béatification de Gaudí s’inscrit dans une volonté plus large de l’Église de mettre en lumière des figures contemporaines, proches de nos préoccupations modernes, mais ayant vécu la foi avec une radicalité inspirante. Gaudí, homme du XIXᵉ siècle, continue de toucher par sa capacité à unir foi et modernité, contemplation et création. Son engagement personnel résonne avec les tensions de son époque: il vécut dans une Catalogne marquée par les conflits sociaux, la montée de l’anticléricalisme et la question identitaire catalane. Pourtant, Gaudí ne se retire pas du monde. Il y enracine sa foi, y recherche l’harmonie, et propose à travers son œuvre une vision transcendante de l’humanité – ce qui le rend, peut-être, plus actuel que jamais.

Une sainteté à visage d’artiste

Si la cause de Gaudí aboutit, il deviendra l’un des rares artistes canonisés par l’Église catholique – et probablement le seul architecte moderne élevé à cette dignité. Cette singularité renforcerait son image de créateur habité, de bâtisseur mystique, offrant un modèle spirituel inédit aux artistes, artisans et architectes contemporains. Au-delà des croyants, c’est une figure universelle de dévouement au bien, à la beauté et à l’essentiel qui émerge.

Né en 1852 à Reus, en Catalogne, Antoni Gaudí compte parmi les plus grands architectes modernes. Figure majeure du modernisme catalan, il a profondément marqué Barcelone par ses constructions audacieuses, aux formes organiques et hautement symboliques.
Sa vision artistique, inspirée par la nature, la géométrie et la spiritualité, transforme chaque édifice en œuvre totale. Parmi ses réalisations les plus emblématiques figurent: la Sagrada Família, basilique monumentale et inachevée; le parc Güell, espace public onirique mêlant sculpture, mosaïque et architecture, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco; ainsi que la Casa Batlló et la Casa Milà (La Pedrera), immeubles résidentiels devenus icônes du paysage urbain barcelonais.

Gaudí meurt en 1926, renversé par un tramway alors qu’il se rendait à la messe. Son apparence modeste le fit d’abord passer pour un sans-abri. Il repose aujourd’hui dans la crypte de la Sagrada Família, qu’il considérait comme son offrande ultime à Dieu.

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