Au Liban-Sud, cette terre qui fut le témoin du passage du Christ, l’espérance demeure toujours. Au milieu des bâtiments en ruine, des routes endommagées et des villages dévastés, tout rappelle encore les horreurs de la dernière guerre. À Klayaa et Marjayoun, les rues sont paradoxalement animées. Leurs habitants sont venus de partout pour y célébrer Pâques et la Saint-Georges.
Situé au cœur d’une nature exceptionnelle, entre le château de Beaufort et Marjayoun, le petit village de Klayaa reflète toute la douceur bucolique du sud et se targue de ses oliviers millénaires. Ce village frontalier bénéficie d’une vue panoramique sur la plaine de Marjayoun et sur le mont Hermon. Avec sa légende fantastique et sa cuirasse de chevalier, Mar Gergis, Gerios, Khodr – autant de noms pour désigner saint Georges – est le chevalier de Klayaa, son patron et le saint protecteur du village. Il est vénéré au Liban par les chrétiens comme par les musulmans qui lui donnent le nom de Khodr, symbole du renouveau de la nature à chaque printemps.
Le 23 avril, c’est la fête de saint Georges, si populaire en Orient mais aussi dans le monde entier. Au fond, que savons-nous vraiment de saint Georges? Peu de choses. Il serait né vers 280 à Lydda, en Syrie, selon les uns, à Mytilène, en Cappadoce, selon d’autres. Il fut élevé dans la religion chrétienne, embrassa une carrière militaire auprès de l’armée romaine, reçut le grade de tribun dans la garde impériale de Dioclétien et subit le martyr, en témoignage de sa foi.
Une tradition revivifiée après la guerre
Voilà plus d’un demi-siècle que la frontière du Liban-Sud est un lieu de conflit permanent. Dans cette zone sensible, les villages chrétiens ont toujours été ciblés alors qu’ils ne s’y impliquaient pas.
Klayaa, village chrétien, en est l’exemple. Les habitants croient ferme en la protection divine. Sonia raconte notamment que saint Georges a protégé la localité contre des ennemis qui s’apprêtaient à l’attaquer. «Saint Georges est intervenu pour sauver les habitants de factions étrangères venues anéantir le village. En plein jour, il a fait tomber un brouillard blanc, très dense sur la plaine. Il était si épais que nos ennemis ne pouvaient plus rien voir. Ils ont dû rebrousser chemin. Aujourd’hui, je sais que saint Georges reviendra nous protéger en cas de danger», dit-elle.
Bravoure, courage, grandeur d’âme, héroïsme, saint Georges symbolise la lutte incessante entre le bien et le mal. Il triomphe sur le mal, incarné par un dragon, et délivre le village que celui-ci terrorisait, de son affreux cauchemar.
Selon la légende, saint Georges serait apparu dans la région, sur des rochers, laissant derrière lui les marques des sabots de son cheval, devenues des symboles de protection et de bravoure. Les croyants se rendent souvent sur ces sites sacrés, non seulement pour prier, mais aussi pour admirer la beauté naturelle qui entoure ces lieux chargés d’histoire. Ces traces sont considérées comme des signes de sa présence divine. Des pèlerinages sont organisés, attirant des fidèles de toute de la région.
Miled, un agriculteur raconte que tous les habitants de Klayaa, témoignent d’une profonde vénération pour saint Georges. Lorsqu’ils souhaitent jurer de leur sincérité, ils invoquent le nom de «Saint Georges de Klayaa», démontrant ainsi leur engagement envers la vérité. «Cela est devenu un symbole puissant dans les interactions quotidiennes, témoignant de l’importance des valeurs d’honnêteté et de loyauté au sein de notre culture», dit-il.
La kermesse: un moment de partage
La célébration de la Saint-Georges, chaque 23 avril, s’étend sur quelques jours. Elle commémore la vie et les actes de ce héros légendaire. La fête est également associée à des événements religieux. Elle a évolué au fil du temps pour devenir aussi une célébration culturelle, mettant en avant la culture et la tradition du village, la musique, la danse, et les plats traditionnels. Chaque année, la kermesse organisée dans le village attire les habitants des localités voisines. Elle représente une tradition vivante qui renforce les liens communautaires et met en lumière le rôle crucial des jeunes dans la préservation de ce patrimoine.
La kermesse commence par une messe solennelle célébrée par le prêtre du village, le père Antonios Eid Farah. Dans son homélie, il rappelle l’importance de saint Georges, figure emblématique de la foi chrétienne. «Saint Georges n’est pas seulement notre saint patron, il est un modèle de bravoure et de dévouement. En célébrant cette fête, nous renouvelons notre foi et notre engagement envers notre communauté», déclare-t-il avec ferveur.
La kermesse offre une multitude d’activités qui ravissent petits et grands. Des stands de nourriture traditionnelle sont installés tout autour de l’église. Les enfants s’amusent avec des jeux forains, tandis que des concerts de musique folklorique entretiennent une atmosphère festive et conviviale. Les jeunes du village, organisateurs de l’événement, prennent en charge la logistique et la mise en place des activités, prouvant ainsi leur engagement indéfectible envers leur culture.
Marie, une jeune bénévole, en témoigne: «Participer à l’organisation de la kermesse est un honneur. C’est l’occasion pour nous de montrer notre attachement à nos traditions et de rassembler les générations. Nous travaillons ensemble pour que cette fête reste inoubliable». Samir ajoute: «C’est une belle façon de transmettre notre héritage aux plus jeunes. En voyant les enfants s’amuser, je me rappelle mes propres souvenirs d’enfance lors de cette même fête».
«Cette célébration est un peu comme une bouffée d’air frais. Elle nous rappelle que malgré tout ce que nous avons traversé, nous pouvons toujours célébrer la vie ensemble. La Saint-Georges est pour nous un moment de joie et de communion. C’est notre façon de dire que nous sommes toujours là, que notre communauté est forte et unie», partage Antoine.
La fête est aussi une belle illustration de la force d’un peuple. Elle démontre que, malgré les difficultés, la communauté trouve dans ses traditions et sa culture une source de réconfort. «Cette année, nous célébrons notre résilience. La guerre a testé notre foi et notre unité, mais ici, aujourd’hui, nous faisons preuve de courage et d’espoir. Chaque prière et chaque chant est un acte de résistance contre la souffrance. Nous sommes unis et nous avons la volonté de bâtir un avenir meilleur», témoigne le père Antonios Eid Farah.
Saint Georges est le symbole de la lutte contre les forces du mal mais il représente également notre éternel combat intérieur contre nos propres démons et les défis de notre malheureuse destinée.
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