Mépris trumpien pour les services: le renseignement planétaire en alerte
Le président américain Donald Trump s'exprime lors de la réunion du Comité républicain national du Congrès (NRCC). © SAUL LOEB / AFP

Les Occidentaux s'inquiètent, leurs adversaires s'en frottent les mains. Les rapports désastreux entre Donald Trump et le renseignement américain, mis au pas par la Maison Blanche, affectent toute la communauté mondiale de l'espionnage.

En deux mois et demi, le président des Etats-Unis a limogé des cadres respectés des grandes officines et placé des fidèles, parfois sans réelle compétence, à des postes-clefs.

Le chef de la NSA (écoute et cyberespionnage) et son adjointe ? Remerciés. La nouvelle directrice du Renseignement national (DNI) Tulsi Gabbard ? Ouvertement pro-Russe. Le chef du FBI (police fédérale) Kash Patel ? Sympathisant de la mouvance complotiste d'extrême droite QAnon.

Donald Trump n'a jamais caché, lors de son premier mandat, son dédain pour le renseignement. Mais ses attaques récentes contre quiconque n'adopte pas le mantra présidentiel font frémir.

"La politisation des services de renseignement est très problématique. Ils ne feront que rapporter ce que leurs dirigeants politiques voudront entendre", craint le Dr. Christopher Nehring, de l'Institut de renseignement cyber de Francfort, en Allemagne.

"Des armées de professionnels font leur travail, mais dans un environnement dérangeant et inquiétant", dénonce pour sa part Michael Shurkin, un ancien de la CIA devenu chercheur à l'institut britannique RUSI. "Au sommet, il y a pour le moins une incompétence grossière".

Pas une surprise

A l'image de l'ahurissant scandale impliquant le secrétaire à la Défense Pete Hegseth qui, via la messagerie Signal, a intégré par erreur un journaliste dans une boucle où s'échangeaient des informations sur des frappes imminentes contre les rebelles Houthis au Yémen.

Voir la plus grande puissance mondiale de la spécialité s'enfoncer dans la médiocrité agite le monde très fermé de l'espionnage. "Tout le monde s'inquiète. Mais ils auraient dû le voir venir, ce n'est certainement pas une surprise", s'étonne Christopher Nehring.

Une telle crise représente en tout cas une formidable opportunité pour les adversaires de l'Occident.

"Les appareils personnels des hauts responsables de la sécurité nationale sont presque certainement devenus la cible la plus prioritaire au monde", craint Emerson T. Brooking, chercheur à l'Atlantic Council, en référence au scandale Signal.

Forcément silencieux, le personnel des agences américaines est unanimement décrit comme accablé, notamment depuis que le renseignement extérieur (CIA) a fait l'objet d'un plan de départs volontaires.

"Une mine d'ex-responsables du renseignement furieux et au chômage est exactement ce qu'espèrent les Russes, les Chinois et d'autres", explique à l'AFP Mat Burrows, analyste au think tank Stimson après trois décennies dans les services. "Ils doivent se frotter les mains. Ils ne pourraient demander mieux que ce que Trump leur offre sur un plateau d'argent".

Comptez sur vous mêmes !

Simultanément, cette fragilité soudaine interroge les alliés des Américains. Des responsables de services européens affirment que les contacts au niveau des chefs "se maintiennent avec une intensité inchangée" et que Washington multiplie les messages de "réassurance".

Mais de sources proches de la communauté européenne du renseignement, les échanges entre chefs espions du Vieux continent se sont multipliés ces dernières semaines pour évoquer les questions du moment.

Washington transgressera-t-elle la "règle du tiers", qui interdit à une puissance de révéler à un pays ce qu'un autre lui a confié ? A quel niveau de responsabilité faut-il communiquer avec les Américains? Quid à l'avenir des dossiers les plus sensibles - Ukraine, Iran, Chine ?

"Essayez de conserver autant que possible vos propres éléments de renseignement électro-magnétique. Et espérez un partenariat européen fiable", martèle à ses homologues continentaux le patron du renseignement d'un petit pays européen. "Comptez sur vous-même!"

Mais cette règle d'or est plus compliquée encore pour les nations historiquement très liées aux Etats-Unis, dont les quatre autres membres des "Five Eyes" (Canada, Grande-Bretagne, Australie, Nouvelle-Zélande).

Cette alliance, initialement axée sur le renseignement électro-magnétique, s'est accrue avec des investissements dans des capacités conjointes, des échanges temporaires de personnels, un niveau de coopération impossible ou presque à suspendre ou à détricoter rapidement.

Les Five Eyes, "c'est un flux d'informations remarquablement libre, à un degré qui ne peut fonctionner qu'en grande confiance", souligne Michael Shurkin. "Si j'étais les Canadiens ou le MI6 (britannique), je me demanderais: +quel est leur agenda et puis-je leur faire confiance+?"

Une question désormais généralisée. Selon des médias américains, Israël est furieux que le scandale Signal ait révélé une information venue d'une source israélienne basée au Yémen.

Quant à l'Ukraine, elle pourrait se méfier, souligne Michael Shurkin. "Peut-être que les Ukrainiens auront des raisons d'être plus méfiants à l'idée de partager avec les Américains tout type de planification".

 

Par Didier LAURAS / AFP

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