Missiles messagers: réaction à l’exclusion de l'Iran des règlements régionaux
©Ici Beyrouth

Deux événements troublants et lourds de sens ont précédé quatre étapes majeures pour le Liban. Le 22 mars, à la veille de la visite de Jean-Yves Le Drian à Beyrouth, des roquettes ont été tirées depuis le Liban vers Israël. Le Hezbollah a nié toute implication, mais la riposte israélienne a été violente, entraînant une mobilisation du Comité de surveillance du cessez-le-feu pour contenir l’escalade, qui menaçait de compromettre la visite du président Joseph Aoun en France.

Lors de la visite de M. Aoun à l’Élysée, le 28 mars, le même scénario s’est répété: un groupe inconnu a lancé de nouvelles roquettes sur Israël qui a riposté en bombardant des positions du Hezbollah, y compris dans la banlieue sud de Beyrouth.

Cette deuxième escalade coïncidait avec la première visite occidentale de M. Aoun, la signature d’un accord de démarcation des frontières entre le Liban et la Syrie sous l’égide de l’Arabie saoudite, et l’arrivée imminente à Beyrouth de Morgan Ortagus, adjointe de l’envoyé spécial américain pour le Moyen-Orient. Tout cela dans un contexte international marqué par des efforts pour mettre fin aux guerres en Ukraine, à Gaza et au Liban, ainsi que pour contrer la menace des Houthis sur la navigation en mer Rouge.

Dans un climat géopolitique aussi tendu, qui ose attiser les tensions au Liban-sud? Une telle initiative suppose un appui extérieur et s’inscrit dans une stratégie régionale. Qui en tire profit, et à qui ce message est-il adressé, puisque le Hezbollah nie toute implication?

Des sources diplomatiques occidentales pointent du doigt l’Iran, qui utiliserait des groupes affiliés à l’axe obstructionniste (la Moumanaa) pour éviter une riposte directe contre le Hezbollah. Téhéran chercherait à envoyer un avertissement à plusieurs parties, notamment à l’administration Trump: “Nous pouvons intensifier les tensions et perturber votre projet régional ainsi que la stabilité si vous ne négociez pas selon nos conditions”. L’Iran tenterait ainsi de compenser la perte progressive de son influence en Syrie, au Liban, en Irak, au Yémen et à Gaza. Il ne lui reste plus que la carte libanaise, qu’il risque toutefois de perdre à la suite de plusieurs initiatives diplomatiques. En effet, l’Arabie saoudite parraine dorénavant la démarcation des frontières libano-syriennes; la France encadre les négociations sur les ressources pétrolières et gazières lors d’une réunion à l’Élysée, sur invitation d’Emmanuel Macron via Zoom, avec les dirigeants libanais, chypriote, grec et syrien; et les États-Unis supervisent la démarcation de la frontière sud avec Israël, en vue d’un futur processus de normalisation.

Tout cela se fait sans l’Iran, malgré son investissement massif dans la région via le Hezbollah depuis 1982, sous différents prétextes, dont le soutien à la cause palestinienne après la création de comités de négociation.

Face à cette marginalisation, Téhéran se retrouve sans levier d’influence, alors qu’Israël poursuit la destruction du Sud et des infrastructures du Hezbollah et du Hamas, éliminant leurs cadres et réduisant leurs arsenaux.

L’influence de l’Iran dans la région a été réduite de manière significative au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et à Gaza. Par ailleurs, des voix palestiniennes s’élèvent contre le Hamas, prônant une résolution diplomatique plutôt qu’une confrontation armée. Le Liban lui-même évolue dans cette direction. Le président Joseph Aoun avait plaidé, dans son discours d’investiture, pour le monopole des armes et de la décision de guerre et de paix par l’État, mettant fin à l’ancien tryptique “Peuple, armée, résistance”.

Par ailleurs, selon des sources libanaises, l’envoyé spécial du président français pour le Liban, Jean-Yves Le Drian, a transmis un message clair aux dirigeants libanais. Il leur conseille de répondre positivement aux propositions américaines de négociation et d’adopter une approche constructive avant l’arrivée de Mme Ortagus. En effet, le Liban ne peut plus se permettre d’attendre les résultats des discussions entre Washington et Téhéran à Oman. Il doit mettre en œuvre les réformes imposées et clarifier sa position sur la question des armes dans le but de pouvoir obtenir l’aide internationale.

À la veille de son arrivée, Morgan Ortagus a accusé le Liban de violer le cessez-le-feu, appelant l’État à contenir les groupes terroristes qui cherchent à l’entraîner dans une guerre en lançant des roquettes sur Israël. Elle a insisté sur le rôle de l’armée libanaise, soutenue par Washington, pour contrer ces groupes, et a réaffirmé son soutien aux négociations pour un retrait israélien des cinq collines disputées. Mme Ortagus a également exigé un désarmement total du Hezbollah, affirmant que le Liban ne se serait pas retrouvé en guerre sans l’influence iranienne. Elle a également appelé le pays à rompre définitivement avec l’axe iranien, la résistance et la Moumanaa, ainsi qu’à désarmer le Hezbollah et à centraliser les armes aux mains de l’État.

Sur le plan interne, les forces souverainistes affirment qu’un simple démenti du Hezbollah ne suffit pas à le déresponsabiliser des tirs de roquettes. Il doit collaborer avec l’État pour identifier les responsables, puisque ses réseaux civils surveillent en permanence le sud du pays. Une telle coopération permettrait au Hezbollah de dissiper les soupçons et de prouver son innocence. Certains avancent même que l’escalade sert Israël, qui en profiterait pour justifier la destruction de l’arsenal du Hezbollah. En effet, l’État libanais n’a jamais pu imposer le désarmement du Hezb face à l’opposition du tandem chiite. Ce dernier prétend que l’armée nationale n’est pas en mesure d’affronter Israël et de récupérer les cinq collines occupées.

Selon des sources proches des Forces libanaises, ce discours vise à affaiblir l’État et à discréditer l’armée. C’est pourquoi le Conseil des ministres devrait se réunir après la fête du Fitr pour trancher sur la question des armes, à la lumière d’une déclaration attendue du président Aoun concernant cette nouvelle escalade.

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