
La déclaration constitutionnelle adoptée par Damas accorde les pleins pouvoirs au président intérimaire Ahmad al-Chareh et ne répond pas aux aspirations des minorités, estiment des experts vendredi.
Ce texte a été signé jeudi par M. Chareh qui a renversé le 8 décembre le président Bachar el-Assad après plus d'un demi-siècle de pouvoir sans partage du clan Assad.
Proclamé président intérimaire en janvier, M. Chareh doit gérer la période transitoire de cinq ans après près de 14 ans de guerre civile. Ce n'est qu'après cette période que des élections seront tenues sur la base d'une nouvelle Constitution.
Entretemps, la déclaration constitutionnelle lui accorde les pleins pouvoirs dans la formation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, bien qu'elle affirme respecter la séparation des pouvoirs.
"La déclaration constitutionnelle accorde des pouvoirs absolus au président intérimaire", explique le professeur de droit constitutionnel Sam Dallah.
Elle consacre "un régime de type présidentiel", avec un pouvoir exécutif aux mains du président et des ministres qu'il va nommer, ce qui exclut la création d'un poste de Premier ministre, dit l'expert syrien.
Jeudi, un membre du comité de rédaction, Abdel Hamid al-Awak, a annoncé à la presse certains points de la déclaration constitutionnelle, avant que le texte ne soit publié dans son intégralité en fin de soirée.
"Que reste-t-il?"
Selon le texte, le président par intérim "nomme le tiers" des membres de la future assemblée et forme un comité qui désignera les membres du collège électoral chargé d'élire le reste des parlementaires.
Bien qu'il affirme que le pouvoir judiciaire est "indépendant", le texte accorde aussi au président intérimaire le droit de nommer les membres de la Cour constitutionnelle suprême, plus haute autorité judiciaire.
"Si le président choisit les membres de l’Assemblée du peuple directement ou indirectement, nomme et révoque les ministres, et nomme seul les membres de la Cour constitutionnelle (..) que reste-t-il donc du principe de la séparation des pouvoirs?", se demande M. Dallah.
"La concentration des pouvoirs aux mains d'une seule personne va inévitablement conduire à monopoliser les décisions", avertit-il.
Si la déclaration constitutionnelle est largement inspirée des constitutions précédentes, elle ne mentionne plus le mot "démocratie".
Parmi les changements introduits par rapport à la Constitution précédente, la jurisprudence islamique devient "la source principale" de la législation, et non plus "une source principale".
L'islam demeure la religion du chef de l'État et l'arabe, la seule langue officielle. Le texte défend la liberté de croyance, rejette toute discrimination et affirme que tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans mentionner expressément les minorités alaouites, chrétiennes, kurdes et druzes.
L'adoption de la déclaration constitutionnelle est intervenue après des massacres dans l'ouest de la Syrie qui ont fait 1.476 morts, la plupart des membres de la minorité musulmane alaouite dont est issu Bachar el-Assad, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme.
M. Chareh a été à la tête de la coalition de factions islamistes sunnites radicales qui a chassé M. Assad du pouvoir après une offensive éclair.
"Reproduire la dictature"
L'avocat Tarek al-Kurdi, ex-membre d'une commission créée par l'ONU pour rédiger une nouvelle Constitution sous Assad, lui rappelle que "la déclaration est intervenue à un moment difficile pour la Syrie, après 54 ans de dictature et 14 ans de guerre dévastatrice".
Selon M. Kurdi, "des défis ou des lacunes pourraient apparaître au début et il sera nécessaire que le pouvoir législatif la fasse évoluer (...) La période de transition a commencé, et ce qui est nécessaire maintenant, c'est un dialogue entre toutes les parties syriennes pour voir comment renforcer l’unité nationale".
Les Kurdes syriens qui ont installé une administration autonome dans le nord-est du pays durant la guerre, ont rejeté la déclaration constitutionnelle, dénonçant "toute tentative de reproduire la dictature".
Ces Kurdes, qui viennent de conclure un accord avec le pouvoir Chareh pour intégrer leurs institutions dans l'État, ont appelé à "une répartition équitable du pouvoir", à "reconnaître les droits de toutes les composantes syriennes" et à "adopter un système de gouvernement démocratique décentralisé".
"Les minorités sont extrêmement inquiètes de la tournure des choses, parce que tout porte à croire que les signes montrent un processus graduel de transformation de la République arabe syrienne en République islamique de Syrie", estime Tigrane Yegavian, professeur à l'université de Schiller à Paris.
"La seule chose qui pouvait rassurer les minorités qui, à juste titre, se sentent menacées par le nouveau régime, c'était une sorte de fédéralisation, avec un gage d'autonomie au niveau de l'éducation, de la justice", ajoute-t-il.
Layal Abou Rahal, avec AFP
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