Que sait-on sur la présence américaine en Syrie ?
Un homme brandit un drapeau syrien en face de la Maison Blanche après la rencontre entre le président syrien Ahmed al-Sharaa et le président américain Donald Trump à la Maison Blanche à Washington, le 10 novembre 2025. ©Brendan Smialowski / AFP

La mort, samedi, de deux militaires américains et d’un civil dans une attaque attribuée à Daech en Syrie a brutalement rappelé que les États-Unis restent militairement engagés dans le pays, plus d’un an après la chute de Bachar el-Assad. 

Il s’agit des premières pertes américaines sur le sol syrien depuis décembre 2024, un événement qui ravive le débat sur l’utilité, les risques et l’avenir de cette présence, officiellement limitée mais stratégiquement sensible.

Une présence héritée de la guerre contre Daech

Les forces américaines sont présentes en Syrie depuis plus d’une décennie. Washington avait initialement évité toute intervention directe lors du soulèvement de 2011 et de la guerre civile qui s’ensuivit, craignant un nouvel enlisement après l’Irak et l’Afghanistan.

La donne change en 2014 avec l’ascension fulgurante de Daech, qui s’empare de vastes territoires en Irak et en Syrie et multiplie les attentats.

Sous la présidence de Barack Obama, les États-Unis lancent alors une campagne aérienne contre Daech, puis déploient leurs premiers soldats au sol en 2015. Ces troupes opèrent principalement aux côtés des Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les Kurdes, dans le nord-est du pays.

En 2019, l’organisation jihadiste perd l’ensemble de son «califat» territorial, mais conserve des cellules dormantes capables de frapper, comme l’a montré la dernière attaque. 

Où et combien de soldats américains aujourd’hui ?

Le nombre de soldats américains en Syrie a fortement fluctué au fil des années, passant de quelques centaines à plus de 2 000 selon les périodes. Après la chute de Bachar el-Assad en décembre 2024, environ 2 000 militaires étaient encore déployés dans le pays, avant un retrait partiel entamé au printemps 2025.

Selon des responsables du Pentagone, l’effectif actuel se situe autour de 900 à 1 000 soldats.

Ces forces sont principalement stationnées dans deux zones. La première est le nord-est syrien, sous contrôle des FDS, où les troupes américaines fournissent un appui en matière de contreterrorisme et contribuent à la sécurisation de camps et de prisons détenant plusieurs milliers de combattants de Daech.

La seconde est la garnison d’al-Tanf, un petit avant-poste situé dans le désert du sud-est syrien, près des frontières irakienne et jordanienne, sur un axe stratégique reliant Bagdad à Damas.

Al-Tanf, un levier militaire et régional

Selon le Washington Institute, la garnison d’al-Tanf joue un rôle qui dépasse la seule lutte contre Daech. Établie en 2016 après la reprise de la zone à l’organisation jihadiste, la base accueille en permanence entre 100 et 200 militaires américains et sert de point d’appui à un groupe partenaire local, Maghawir al-Thawra, formé et soutenu par Washington.

Entourée d’une zone de déconfliction de 55 kilomètres négociée avec la Russie, al-Tanf permet d’entraver les mouvements de cellules jihadistes et de limiter l’accès de milices pro-iraniennes à un corridor stratégique reliant l’Iran à la Méditerranée. Le site a également acquis une dimension humanitaire et sécuritaire, notamment en lien avec le camp de déplacés de Rukban, situé à proximité, ainsi qu’un rôle indirect dans la lutte contre les trafics transfrontaliers, dont le Captagon.

Le think tank souligne par ailleurs que cette présence sert des intérêts régionaux plus larges. Elle facilite la sécurisation des frontières jordaniennes et s’inscrit dans un environnement stratégique favorable aux opérations israéliennes visant les infrastructures iraniennes en Syrie. Malgré des attaques répétées depuis sa création, aucun militaire américain n’y a été tué à ce jour, ce qui alimente l’argument d’un déploiement à faible empreinte mais à impact élevé.

Cette lecture est toutefois contestée à Washington. Selon une analyse de la Brookings Institution publiée en 2020, al-Tanf est devenu un exemple de «bagage stratégique» : un engagement militaire dont l’utilité marginale ne compense plus les coûts, les risques d’escalade et les contraintes logistiques.

Brookings estime notamment que l’effet réel de la base sur les flux iraniens reste limité, Téhéran et ses alliés ayant développé des itinéraires alternatifs, tandis qu’Israël mène sa propre campagne aérienne intensive contre les cibles iraniennes en Syrie.

Une relation en évolution avec le nouveau pouvoir syrien

La chute de Bachar el-Assad a profondément modifié le contexte politique. Les États-Unis, qui n’avaient plus de relations diplomatiques avec Damas, ont progressivement renoué le dialogue avec les nouvelles autorités syriennes dirigées par Ahmad el-Chareh, ancien chef rebelle devenu président par intérim.

En novembre, ce dernier s’est rendu à Washington, une première historique, et la Syrie a annoncé son adhésion à la coalition internationale contre Daech.

Cette évolution ouvre la voie à une coordination accrue, même si les forces syriennes ne participent pas officiellement à l’opération militaire américaine «Inherent Resolve», qui a commencé en 2014, contre Daech. Pour Washington, le mouvement reste une menace persistante malgré le changement de régime, d’autant que l’organisation conserve des réseaux clandestins et des milliers de combattants détenus dans le nord-est du pays.

Un possible élargissement ?

Selon Reuters, Washington préparerait également une évolution plus discrète mais potentiellement significative de son dispositif. Les États-Unis envisageraient d’établir une présence militaire sur une base aérienne située à Damas afin de soutenir un pacte de sécurité en cours de négociation entre la Syrie et Israël, sous médiation américaine.

D’après plusieurs sources occidentales et syriennes citées par l’agence, cette présence viserait des missions de surveillance, de logistique et d’appui humanitaire, dans une zone appelée à devenir démilitarisée.

Le projet, qui marquerait un tournant symbolique dans les relations entre Washington et Damas, a toutefois été officiellement démenti par le ministère syrien des Affaires étrangères, illustrant la sensibilité politique du sujet.

Quel avenir pour l’empreinte militaire américaine ?

Le président Donald Trump a, par le passé, exprimé son scepticisme quant à un engagement prolongé en Syrie et tenté, lors de son premier mandat, de retirer totalement les troupes, sans succès.

Les signaux envoyés par Washington suggèrent une inflexion plus nette qu’un simple ajustement tactique. Début juin, l’émissaire spécial américain pour la Syrie, Tom Barrack, a confirmé à Reuters que les États-Unis prévoyaient de ramener leur dispositif militaire de huit bases à une seule, marquant une rupture assumée avec les politiques menées jusqu’ici. «Aucune d’entre elles n’a fonctionné au cours des cent dernières années», a-t-il déclaré, en référence à l’approche américaine en Syrie.

Reste à savoir si cette réduction marquera la fin d’un engagement devenu coûteux, ou le début d’une présence plus discrète mais durable, dans un pays encore instable.

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