8 mars: quand les femmes font trembler le monde
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De l'usine aux réseaux mondiaux, comment la Journée internationale des droits des femmes se transforme d'une revendication ouvrière en un mouvement de grève féministe planétaire, renouvelant ses stratégies face aux défis contemporains.

Dans les rues de New York en 1908, personne ne pouvait prédire que les ouvrières du textile, épuisées et mal payées, posaient les premiers jalons d'un mouvement planétaire. Ces femmes qui osèrent s'élever contre des conditions de travail inhumaines ignoraient qu'elles écrivaient la première page d'une longue histoire de luttes. Le 8 mars n'était alors qu'une date parmi d'autres sur le calendrier. Aujourd'hui, c'est un symbole mondial de résistance et d'espoir.

Les racines de cette journée plongent dans les mouvements ouvriers et socialistes du début du XXe siècle. Un an après cette grève historique, le Parti socialiste américain institue une première Journée nationale de la femme. Mais c'est Clara Zetkin, militante féministe allemande au discours percutant, qui propose en 1910, lors d'une conférence à Copenhague, d'internationaliser cette commémoration. Son objectif demeurait clair: mobiliser les femmes du monde entier pour le droit de vote et l'égalité économique.

Le destin du 8 mars bascula définitivement en 1917, lorsque des ouvrières russes de Petrograd décidèrent de défier le pouvoir tsariste. Ce jour-là, leurs cris de colère contre la guerre et la faim déclenchèrent l'étincelle qui embrasa la Révolution de Février. Quatre jours plus tard, le tsar Nicolas II abdiqua. En 1921, Lénine officialisa le 8 mars comme journée des femmes, le liant aux mouvements révolutionnaires.

Silences et révoltes

Pendant des décennies, le 8 mars resta prisonnier de la guerre froide. À l'est, on le célébrait comme une fête officielle, parfois vidée de sa substance contestataire. À l'ouest, on l'ignorait largement, le considérant comme une création communiste suspecte. Ce n'est qu'avec l'explosion de la deuxième vague féministe, dans les années 1970, que cette date regagna en force.

L'Islande marqua un tournant décisif en 1975. Ce jour-là, 90% des Islandaises cessèrent toute activité, professionnelle et domestique. Leur message était limpide: sans les femmes, la société s'effondre. Cette démonstration de force collective révéla la puissance potentielle de la grève féministe.

En 1977, l'ONU officialisa le 8 mars comme Journée internationale des droits des femmes. Une victoire à double tranchant puisque la reconnaissance mondiale s'accompagna d'un risque de normalisation et de dépolitisation. Pendant les décennies suivantes, les célébrations oscillèrent entre manifestations militantes et réceptions institutionnelles policées.

Mondialisation des colères

À partir des années 2010, le 8 mars évolua et renforça son rôle de contestation. En 2016, les Polonaises impressionnèrent profondément en organisant une grève nationale contre un projet de loi anti-avortement. Vêtues de noir, elles paralysèrent le pays, forçant le gouvernement à reculer. Cette victoire retentissante inspira un nouvel élan mondial.

L'année suivante, l'explosion du mouvement #MeToo dévoila l'ampleur des violences sexistes et sexuelles. Le 8 mars 2018 prit alors une dimension inédite: de Madrid à Buenos Aires, de New York à Delhi, des millions de femmes se mobilisèrent massivement. En Espagne, près de six millions de grévistes firent trembler l'économie sous la bannière “Si nous nous arrêtons, le monde s'arrête”.

La Suisse suivit en 2019 avec une mobilisation historique rassemblant plus de 500.000 personnes vêtues de violet. Au-delà de la lutte pour l'égalité salariale, ces grèves féministes revendiquent aussi la reconnaissance du travail domestique souvent ignoré, la dénonciation des violences faites aux femmes, la justice climatique et les droits des minorités de genre. Ce qui caractérise ces révoltes contemporaines, c'est leur capacité à relier plusieurs formes d'injustices et à porter un combat plus global pour l'égalité. Le féminisme n'est plus perçu comme la simple lutte pour l'égalité entre hommes et femmes, mais comme une lutte globale contre toutes les formes d'injustices, qu'elles soient basées sur le genre, la race, la classe sociale ou l'orientation sexuelle.

Pourtant, cette renaissance fait face à des obstacles persistants. L'exploitation commerciale du 8 mars transforme parfois la lutte féministe en opération marketing. Des marques vantent l'autonomisation des femmes tout en exploitant des ouvrières sous-payées. Certains gouvernements affichent leur soutien à cette journée tout en limitant l'accès à la contraception et à l'avortement, ou en restant passifs face aux violences domestiques.

De manière plus subtile, l'accent mis sur les réussites individuelles tend à fragiliser la solidarité au sein du mouvement. Un féminisme axé sur l'ascension sociale et l'accès aux postes de pouvoir pour une minorité risque d'éclipser les inégalités structurelles qui pèsent sur la majorité des femmes.

Malgré ces contradictions, le 8 mars ne cesse d'innover dans ses modes d'action. Aux manifestations classiques viennent s'ajouter des grèves numériques, des actions de désobéissance civile et des performances artistiques marquantes. Dans de nombreux pays, des collectifs féministes renforcent la solidarité en mettant en place des réseaux d'entraide pour pallier les carences des institutions.

Un exemple récent de cette solidarité s'est illustré en Amérique latine, où le mouvement féministe s'est intensifié. En Argentine, la mobilisation pour le droit à l'avortement a abouti à la légalisation de l'IVG en décembre 2020 après des décennies de lutte. Ce succès a encouragé des mouvements similaires dans des pays voisins comme le Mexique et la Colombie, où des décisions judiciaires historiques ont été prises en faveur des droits reproductifs des femmes (Source: Amnesty International, 2021). Cette dynamique montre que le 8 mars joue un rôle essentiel dans l'évolution de la société et permet d'encourager des transformations durables. Tant qu’il existera des inégalités, cette journée continuera d’évoluer, soutenant celles et ceux engagés pour une société équitable.

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