
Après plus d’une décennie de conflit, le Yémen se trouve plongé dans l’une des pires crises humanitaires au monde. Malnutrition, épidémies, pénuries d’eau, près de la moitié de la population est en “situation d’insécurité alimentaire”, selon le Fonds monétaire international (FMI), et 80% dépend de l’aide humanitaire pour survivre.
Une situation qui pourrait se détériorer davantage. En 2025, l’économie yéménite devrait encore se contracter selon le FMI, et les Nations unies prévoient qu’entre 2024 et 2025, plus d’un million de personnes supplémentaires auront besoin d’aide humanitaire.
Autre inquiétude, la suspension des financements de l’USAID annoncée fin janvier par Donald Trump. De nombreuses ONG vont ainsi devoir réduire, voire arrêter leurs opérations sur place, ce qui constitue une véritable catastrophe pour la population locale.
Avec la multiplication des crises mondiales et un désintérêt croissant de la communauté internationale, les financements des années précédentes peinaient déjà à répondre aux besoins immenses. En mai 2024, l'ONU rapportait que seuls 435 millions de dollars sur les 2,7 milliards demandés dans le Plan de réponse humanitaire 2024 avaient été collectés.
Un accès humanitaire de plus en plus difficile
Conséquence directe de la guerre, le Yémen est divisé en plusieurs zones instables. Au nord, le mouvement houthi contrôle le territoire avec la capitale Sanaa. Le sud est géré par les forces loyalistes du Conseil de direction présidentiel mais aussi par le Conseil de transition du sud autour d’Aden. Cette fragmentation du territoire complique grandement l’intervention des associations humanitaires, qui doivent obtenir des autorisations pour opérer dans chaque zone. Parallèlement, près de 4,8 millions de Yéménites ont été déplacés durant la guerre, augmentant la vulnérabilité de la population.
“Les organisations humanitaires, y compris le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Yémen font face à de nombreux défis en raison du conflit en cours, notamment l'accès, les risques de sécurité, les coupures d’aide et les difficultés logistiques”, confirme à Ici Beyrouth Iscander Saeed, porte-parole du CICR au Yémen. Un constat partagé par Stephen Bisits, directeur pays Yémen pour Solidarités International : “de manière générale, le travail humanitaire au Yémen reste difficile. En particulier, il y a des détentions continues de travailleurs humanitaires à Sanaa et d’autres difficultés d’accès, ce qui réduit l’impact de l’aide”.
Si certaines ONG, comme le CICR et Médecins sans frontières (MSF), parviennent à intervenir à la fois au nord et au sud, d’autres peinent à obtenir les autorisations nécessaires, notamment dans la zone contrôlée par les Houthis. Au sud, ce sont principalement les risques sécuritaires qui entravent l’action des ONG. Pourtant, les besoins de la population sont colossaux: au moins 7,4 millions de personnes souffrent de malnutrition, dont 2,4 millions d'enfants.
“Dix ans après le début du conflit armé, la population a largement épuisé sa capacité à faire face à la situation, l'économie est au bord de l’effondrement et une grande partie de l'infrastructure essentielle du pays est arrivée à un point de rupture. Les réseaux d'électricité et d'eau ont été endommagés, détruits, lourdement minés ou sont tombés en ruine”, explique Iscander Saeed. L’accès à l’eau en particulier constitue un des défis prégnants pour la survie de la population.
Une sécheresse généralisée
Le Yémen subit une des pires crises de l’eau au monde, alimentée par le changement climatique et des sécheresses récurrentes. Le niveau des nappes phréatiques ne cesse de baisser, et la saison des pluies de 2024 a provoqué des inondations intenses dans tout le pays, aggravant encore les conditions de vie de la population.
L’accès à l’eau est donc devenu un enjeu majeur et une source de conflit pour tous les belligérants, d’autant que la guerre a détruit la plupart des infrastructures en charge de la distribution de l’eau. Selon les estimations, plusieurs nappes phréatiques du pays devraient être épuisées d’ici dix ou quinze ans.
“L’eau est au cœur de beaucoup de souffrances que nous voyons au Yémen: des enfants malnutris, des personnes âgées mourant du choléra et des familles incapables de cuisiner de manière sûre”, affirme Stephen Bisits. “À une échelle plus large, certains villages ne peuvent pas rester dans leurs foyers ancestraux car l'eau s'est tarie, et de plus en plus de communautés ne peuvent plus vivre à cause des changements dans les schémas de pluie”, ajoute-t-il.
À terme, l’accès à l’eau pourrait exacerber les tensions entre les tribus yéménites, ce qui pourrait mener à une nouvelle phase du conflit. Les femmes en particulier pâtissent de cette situation, car elles sont souvent contraintes de parcourir de longues distances chaque jour pour obtenir de l’eau, ce qui entrave leur accès à l’éducation.
Un système de santé complètement effondré
Conséquence directe du manque d’accès à l’eau, les épidémies se répandent dans le pays comme celles de la Covid-19 ou du paludisme. En 2017, le pays a été confronté à la plus importante épidémie de choléra jamais enregistrée, avec plus d’un million de personnes atteintes, et au moins 3 000 morts. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), un enfant yéménite perd la vie toutes les dix minutes en raison de maladies évitables.
Seule la moitié des établissements de santé sont encore opérationnels, et les hôpitaux accumulent le manque de médicaments et le retard des salaires du personnel. “Nous avons plusieurs hôpitaux, notamment dans le nord, qui fonctionnent plutôt bien, qui sont opérationnels”, souligne Marc Schakal, responsable du programme de MSF au Yémen. “Malheureusement les seuls hôpitaux qui sont opérationnels aujourd’hui sont ceux qui sont soutenus par MSF ou d’autres organisations selon les différentes capacités”, ajoute-t-il.
Sans cette aide, le système de santé risque de se détériorer davantage, limitant l’accès aux soins pour la population et favorisant la propagation des épidémies. “Nous sommes particulièrement préoccupés par la santé en général, la santé des enfants avec des problèmes pédiatriques”, affirme Marc Schakal, “les populations les plus vulnérables sont les enfants et les femmes. En pédiatrie, la couverture vaccinale dans le nord du pays est très faible et il y a des barrières à la vaccination qui fait qu’on a des épidémies de rougeoles qui se répètent, et toutes les complications qui peuvent être associées à la rougeole : malnutrition et autres complications”.
Les services encore opérationnels de maternité sont sous pression, mais les produits d’hygiène et de soin pour les jeunes mamans et les enfants se font rares. Les personnes âgées et en situation de handicap comptent également parmi les plus vulnérables. Enfin, la présence massive de mines terrestres et de restes d’explosifs représente une menace constante pour la population civile, en particulier pour les enfants.
Si les ONG tentent de leur mieux de répondre aux besoins de la population, l’annonce mercredi 26 janvier par les États-Unis de la suppression de 92% des financements à l’étranger de l’USAID devrait porter un coup quasi fatal à l’aide humanitaire au Yémen.
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