
Point névralgique du commerce mondial, la mer Rouge a été l’un des foyers importants du conflit qui oppose Israël à “l’axe de la résistance”. Les attaques des Houthis ont porté un coup sévère au commerce mondial, obligeant les sociétés de transport à revoir leur logistique.
Plus d’un an après le début de la guerre et avec l’annonce du cessez-le-feu à Gaza, le trafic maritime semble reprendre peu à peu, mais avec toujours l’incertitude d’un retour du conflit et un bilan lourd pour les sociétés de transport et le secteur du commerce maritime.
Au centre du commerce entre l’Asie et l’Europe
La mer Rouge dispose de deux points d’accès. Au sud, se trouve le canal de Bab el-Mandeb, situé au large des côtes yéménites et qui rejoint la mer d’Arabie et l’océan Indien. Au nord, le canal de Suez donne sur la Méditerranée. Cette zone est particulièrement stratégique car elle accueille en temps normal entre 12% et 15% du commerce mondial et 30% du trafic de porte-conteneurs, soit plus de 20 000 navires chaque année.
Depuis novembre 2023, les Houthis (de leur vrai nom Ansar Allah) ont mené en soutien à Gaza des attaques en mer Rouge contre des navires liés à Israël, mais également aux États-Unis et au Royaume-Uni. Selon le département américain des transports, on compte près de 113 attaques distinctes des Houthis contre des navires commerciaux entre fin 2023 et début 2025.
En conséquence, le trafic en mer Rouge a été réduit de plus de moitié, entraînant une perte de recettes pour le canal de Suez estimée à plus de 60% mi-2024, selon les données de la banque centrale égyptienne. Les attaques ont par ailleurs eu un impact sur le commerce mondial, occasionnant des retards et des augmentations des prix.
“Cela concerne la quasi-totalité du commerce entre l'Europe et l'Asie, qui se fait en grande majorité par voie maritime”, estime Isabelle Méjean, spécialiste du commerce international et professeur au département d’économie à Science Po Paris. “On parle ici de produits manufacturiers et de matières premières depuis l’Asie vers l’Europe (électronique, textile, etc) et depuis l’Europe vers l’Asie (produits pharmaceutiques et chimiques, matériel de transport, etc.)”, ajoute-t-elle.
Un détour par l’Afrique
De nombreuses compagnies de transport maritimes comme la CMA CGM et Maersk ont préféré changer de route maritime en passant par le cap de Bonne-Espérance (au sud de l’Afrique) au lieu du canal de Suez afin d’assurer la sécurité de leurs navires. Selon un rapport de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), le trafic maritime du cap de Bonne-Espérance a augmenté de 89% mi-2024.
Ce changement de route maritime est loin d’être anodin, car il rallonge chaque trajet entre l’Europe et l’Asie d’au moins deux semaines, ce qui entraîne une augmentation des coûts. “Dans la logistique internationale, ce qui est assez compliqué, c'est de changer les routes, car tout le trafic est optimisé: perdre deux semaines sur un trajet, cela implique de perdre son slot dans les ports, donc de devoir reprogrammer les éléments logistiques, ce qui est coûteux”, explique à Ici Beyrouth Isabelle Méjean.
Une problématique renforcée par l’incertitude concernant un éventuel retour à la normale, même si les Houthis ont annoncé le 20 janvier qu’ils ne cibleraient désormais que les navires liés à Israël. “Si, au contraire, le trafic était coupé de manière permanente (à long terme), les flux logistiques s'ajusteraient, ce qui engendrerait des coûts supplémentaires, mais il faut souligner que le coût du transport dans le prix des biens importés reste très faible”, ajoute-t-elle.
En l'état actuel des choses, les compagnies de transport maritime semblent réticentes à reprendre la route du canal de Suez, en témoigne un communiqué de presse de la CMA CGM daté du 25 janvier : “compte tenu des tensions persistantes et des risques associés pour les navires commerciaux dans certaines zones, CMA CGM continuera pour l’instant à donner la priorité à des itinéraires alternatifs, y compris un recours important au passage par le cap de Bonne-Espérance”.
Un pari gagnant pour les Houthis
Largement plus épargné par les attaques israéliennes et occidentales que ses alliés libanais et palestiniens, le mouvement houthi semble sortir gagnant de son implication en mer Rouge. “Les mesures offensives constituent un moyen pour eux de se faire remarquer sur la scène mondiale et d'être pris au sérieux par la communauté internationale”, assure à Ici Beyrouth Fatima Moussaoui, spécialiste de la mer Rouge.
Ils s’affirment ainsi comme des interlocuteurs essentiels pour le passage maritime par le canal de Bab el-Mandeb, et ce probablement même après la fin des hostilités à Gaza. En mars 2024, les autorités houthies ont annoncé la mise en place de permis pour les navires voulant se rendre dans les eaux yéménites. Une stratégie qui se révélerait payante selon le journal britannique The Economist, qui estime que les Houthis pourraient gagner jusqu’à 2,1 milliards de dollars par an grâce à ces permis. Cependant, de nombreux experts internationaux considèrent que ces chiffres sont peu réalistes en raison de la réduction du nombre de navires dans la zone.
L’opération “Prosperity Guardian” lancée en décembre 2023 par les États-Unis pour répondre aux attaques houthies ne semble pas avoir eu les résultats espérés. Malgré plusieurs frappes, les Houthis conservent leur capacité d’attaques à la fois contre Israël et en mer Rouge, et semblent avoir renforcé leur légitimité. “Cette approche de se manifester en utilisant les actions offensives pour des ‘causes justes’ selon leur vision, agit comme un catalyseur pour rehausser leur image auprès des Yéménites et de la rue arabe”, confirme Fatima Moussaoui.
Malgré le cessez-le-feu à Gaza, la sécurité reste précaire en mer Rouge et le trafic maritime ne devrait donc pas reprendre de manière importante sans un accord avec les Houthis.
Commentaires