
Deux courtes phrases laconiques qui font toute la différence: “Le Liban a suffisamment enduré du fait de la guerre des autres” (sur son territoire); “la décision de guerre et de paix doit être exclusivement du ressort de l’État”. Deux phrases succinctes lancées par le président Joseph Aoun à plus d’une occasion et qui résument de façon éloquente toute la complexité et la véritable dimension de la crise chronique dans laquelle se débat le pays depuis plusieurs décennies. Des propos qui viennent à point nommé à la veille de l’importante visite du chef de l’État en Arabie saoudite, ce lundi 3 mars.
La décision du président Joseph Aoun de choisir Riyad pour son premier déplacement officiel à l’étranger n’est certainement pas fortuite. Hautement symbolique et bien réfléchie, cette visite illustre de manière limpide la ligne directrice du nouveau régime qui met ainsi un terme à une longue période de déviationnisme en matière de politique étrangère. Ce n’est pas non plus le fruit d’un simple hasard ou le résultat d’un banal équilibre dans la répartition des portefeuilles régaliens si la diplomatie libanaise a été, enfin, confiée à un parti fondamentalement “libaniste” et à un brillant diplomate de carrière en la personne de Joe Raggi. En effet, les inébranlables positionnements souverainistes respectifs de celui-ci, accompagnés d’un attachement ferme à la neutralité du pays, ne risquent en aucun cas de faire l’objet d’une quelconque compromission.
Ce retour aux fondamentaux dans les relations du pays du Cèdre avec le monde extérieur est sans conteste un passage obligé pour sortir le Liban de la situation de déliquescence avancée dans laquelle il a été entraîné manu militari pendant des années sous le poids des expansionnismes musclés syrien et iranien. Il était naturel que le premier pas sur la voie de cet assainissement diplomatique se fasse à Riyad. Et pour cause: l’Arabie saoudite a réussi à se forger aujourd’hui une position de choix sur l’échiquier international; c’est ainsi sur son territoire que s’est tenue la première réunion officielle publique, depuis l’éclatement du conflit ukrainien, entre la nouvelle administration américaine et la Russie.
À l’échelle du Moyen-Orient, le royaume saoudien joue un rôle pivot dans l’évolution d’une conjoncture régionale en pleine mutation et un tantinet explosive – pour le moins qu’on puisse dire. Il occupe une place centrale dans le nécessaire dispositif de containment, voire d’éradication, de l’expansionnisme destructeur des Gardiens de la révolution islamique iranienne. D’une manière encore plus générale, les accords d’Abraham initiés par le président Donald Trump lors de son premier mandat, et qu’il s’est fixé comme objectif de parachever, ne pourront prendre toute leur ampleur qu’avec l’adhésion active de Riyad. Ce n’est pas pour rien que l’attaque meurtrière du 7 octobre 2023 lancée par le Hamas contre Israël, à l’instigation en toute vraisemblance de Téhéran, avait précisément pour principal objectif de stopper in extremis, ou tout au moins de geler, la conclusion de l’accord qui était en gestation entre la première puissance du Golfe et l’État hébreu.
Dans une optique strictement libanaise, en choisissant d’entamer par la capitale saoudienne ses contacts officiels à l’étranger, le président Joseph Aoun ne fait que remettre les pendules à l’heure dans les relations extérieures du Liban. Loin de tout suivisme ou de toute complaisance, certaines réalités doivent être rappelées aujourd’hui sans scrupule. En prenant les Libanais en otage, le régime des mollahs iraniens nous a fait oublier – du moins pour certains – que durant les longues années de guerre, Riyad s’est constamment tenu aux côtés du Liban. Non seulement sur le plan politique, mais aussi et surtout au niveau financier, lorsqu’il s’agissait de renflouer, par des dépôts bancaires successifs, les réserves en devises de la Banque centrale. Comment ne pas relever en outre que l’Arabie saoudite est la seule puissance régionale de poids à ne pas avoir mis en place et entretenu à Beyrouth, durant tout le conflit libanais, une milice locale à vocation déstabilisatrice qui lui soit aveuglément inféodée.
Les tragiques événements de ces dernières années ont illustré le grave préjudice qui a longtemps été porté au Liban lorsqu’il a été amené, contre son gré, à se déconnecter de son environnement naturel sous les coups successifs des campagnes belliqueuses menées par le directoire du Hezbollah contre les États du Golfe et certains pays amis, pour être au service des ambitions débordantes de Téhéran.
En recevant au palais de Baabda, quelques jours après son élection, le chef de la diplomatie saoudienne, l’émir Fayçal ben Farhane, le président Joseph Aoun a regardé son hôte droit dans les yeux en lançant spontanément, avec une nette satisfaction: “Enfin…”. Un tout petit mot qui veut tout dire…
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