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Joanna Khalaf en pleine répétition à Paris. ©Ici Beyrouth

Après avoir dompté la scène parisienne en version française, Vingt-quatre heures de la vie d’une femme de Stefan Zweig, mise en scène par Ji Chen et interprétée par Joanna Khalaf, prend son envol vers le théâtre Le Monnot à Beyrouth. La pièce, dont la production exécutive au Liban est signée MFG Consulting, sera jouée à partir du 5 mars 2024, à 19h30, les mercredis et jeudis en français et les vendredis, samedis et dimanches en libanais.  la suite de sa répétition à Paris, Joanna Khalaf répond aux questions d’Ici Beyrouth.

Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, adaptée de l’œuvre de Stefan Zweig, s’apprête à poursuivre son voyage scénique à Beyrouth. Mise en scène par Ji Chen et portée par l’interprétation de Joanna Khalaf, la pièce, dont la production exécutive au Liban est assurée par MFG Consulting, se tiendra au théâtre Le Monnot à partir du 5 mars 2024. Les représentations se dérouleront en français les mercredis et jeudis, tandis que la version en libanais, traduite par Joanna Khalaf, prendra le relais les vendredis, samedis et dimanches, offrant ainsi une double immersion dans ce récit intense et captivant.

Seule en scène, l’actrice embarque les spectateurs dans les émotions d’une femme dont la vie bascule en l’espace d’une journée. Une rencontre accidentelle, aux croisées du destin, redéfinit ses croyances et retrace son parcours. Portée par une mise en scène immersive et entraînante, joignant flashbacks, projections et narration à fleur de peau, la performance brise les frontières traditionnelles du théâtre.

L’actrice tient la scène une heure durant, gardant le public suspendu à ses mots et à ses gestes. Elle dévoile le lien intérieur d’une femme en déroulant le fil conducteur et en rendant avec justesse le vécu d’une femme, celle de Zweig. Dans une mise en scène particulière et interactive, elle occupe la scène de bout en bout. Son cri strident est incarné dans une logorrhée captivante, juste et colorée. Ses paroles résonnent dans l’espace, dialoguant avec chaque regard. Pendant une heure, elle livre une performance maîtrisée, où chaque mot, chaque geste interagit avec le public, l’entraînant dans une expérience prenante. Joanna Khalaf partage cette expérience distinctive avec Ici Beyrouth.

Entretien avec Joanna Khalaf 

Y a-t-il des moments où vous traduisez votre texte simultanément sur scène, vu que vous avez déjà joué la pièce en français?

Non, j’ai essayé de traiter les deux textes séparément et de dissocier en moi la traductrice de la comédienne. Je traite le texte libanais comme je traiterais le texte d’une autre écrivaine. Le processus de traduction a été assez long pour trouver les bonnes idées, tournures et mots. J’ai essayé de me détacher du texte que je connaissais et que j’avais répété en français plusieurs fois, de comprendre l’idée de l’auteur puis de la réécrire en gardant la poésie et le sens du détail de Zweig. Ensuite, je me suis réapproprié le texte en tant que comédienne.
Au début, la première idée qui me venait sur scène était de reprendre une tournure en français. Le défi a été pour moi de dissocier les deux textes et de reprendre la seconde version différemment, comme si je jouais une nouvelle pièce.

Quel est votre ressenti, après le succès de la pièce en France, de jouer pour la première fois devant un public libanais?

Je suis stressée, mais c’est du bon stress! Je suis motivée et heureuse pour plusieurs raisons. D’abord, le fait de revenir au Liban en tant que comédienne dans un théâtre que j’apprécie beaucoup et où je me rendais moi-même pour voir des pièces. Je suis fière et heureuse d’être accompagnée d’une belle équipe, d’un beau projet et d’une belle production. Le public libanais est un peu différent du public français, vu que dans cette pièce, je casse le quatrième mur et vais chercher les gens. Avec le public français, ce n’était pas évident d’amener les gens vers moi, ce qui pourrait être différent avec le public libanais qui aime interagir. Le défi demeure d’aller chercher deux publics à Beyrouth: le public francophone et le public libanais qui viendra voir la pièce en libanais.

Qu’est-ce que cette pièce vous a apporté en tant que comédienne?

Énormément de choses. C’est un tournant dans ma carrière de comédienne. Un premier seule-en-scène marque à vie. On devient ce personnage. Toute la pièce repose sur les épaules d’un seul comédien. Le comédien tient la scène avec la responsabilité de défendre le texte de A à Z, ainsi que la mise en scène. J’apprends tous les jours en travaillant avec Ji Chen, une metteuse en scène et artiste exceptionnelle, qui m’aide à lâcher prise. Je suis souvent cérébrale, mais elle m’invite toujours à voir mes partenaires de jeu et à les faire exister avant de parler.
Quand elle m’a proposé ce projet, j’ai failli dire non parce que j’étais inquiète; ce texte a été joué mille fois, adapté au cinéma, sur scène… Je me suis demandé ce que je pourrais lui apporter de plus. Quand on a commencé les répétitions, j’ai pris confiance par rapport au travail de mise en scène très différent; il est coloré tout en faisant exister les moments dramatiques. J’apprends à maîtriser cette balance et la bascule entre les sentiments de peine, très présents dans cette histoire, mais aussi les moments joyeux et les blagues de méta-théâtre où je dois sortir de la peau du personnage pour redevenir moi-même et m’adresser aux spectateurs. Ensuite, les critiques, surtout pour un seule-en-scène, risquent de provoquer soit de l’autoflagellation, soit de l’orgueil. J’apprends à prendre du recul pour ne pas tomber dans l’un ou l’autre ressenti. Ce projet est une grande école. D’ailleurs, un comédien ne cesse d’apprendre.

Que vous reste-t-il après chaque représentation en tant que femme?

La méthode Actor’s Studio n’est pas forcément la mienne. Je me sers plutôt du texte pour travailler. Je ne vais pas nécessairement utiliser mes propres émotions ou mon vécu pour jouer ce texte ou trouver ces émotions.
Cependant, à chaque fois que je sors de scène, quelque chose a forcément bougé en moi. Un souvenir me revient, une personne de mon passé, des moments joyeux ou de peine me reviennent à l’esprit. Parfois, j’en sors joyeuse ou triste, et la femme en moi en pleure. C’est un bouleversant va-et-vient entre différentes émotions.
Il y a donc un impact émotionnel. De plus, le texte est profondément féministe. Pour moi, le féminisme ne repose pas uniquement sur de grands discours et monologues qui expliquent aux autres comment penser, mais aussi sur les histoires que l’on raconte et à travers lesquelles les messages passent.
Pour moi, raconter au Liban l’histoire de cette veuve qui part avec un jeune homme à peine plus âgé que ses enfants, sans se préoccuper du regard de la société, est un acte profondément féministe. J’en sors fière de défendre les femmes et leurs droits à travers une histoire.

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