
La frénésie collective qui prévaut en milieu chiite est symptomatique de grand malaise et de perte de repères au profit d’un état de délire qui rend impossible tout scénario de normalisation, alors que la situation à Gaza et en Syrie, contre toute attente, semble s’acheminer vers un dénouement. La perplexité à laquelle nous renvoie cette situation ne peut s’expliquer à moins de comprendre l’instrumentalisation dont elle fait l'objet par la politique iranienne en déroute.
L'Iran des mollahs est aux abois et tente désespérément d’instrumentaliser une scène chiite entièrement disloquée. Il ne reste plus rien et pourtant il persiste à entretenir des illusions dont le coût exorbitant ne cesse de croître. Le malheur est que la communauté chiite vit dans un état de déni qui rend compte de l’irrationnalité ambiante et de ses dérives. Il est déroutant de constater que le public chiite ne se rend pas compte de l’irréversibilité de cette perte, de l’état d’esprit et des politiques qui l’ont causée, de l’importance salutaire des résolutions internationales et de la réédification du processus étatique comme autant de passages obligés vers la normalisation.
La délinquance en tous genres, l’usage des frontières à des fins criminelles et terroristes ne peuvent en aucun cas se réconcilier avec les résolutions internationales, aider à la reconstitution d’une texture étatique en lambeaux et promouvoir les chances d’une paix civile hautement compromise. Les états de délire collectif en cours sont loin de favoriser les stratégies de normalisation qui devraient aider à la résorption progressive de cette irrationalité rampante et de ses effets dévastateurs.
Les chiites n’arrivent pas à admettre la fin de cette dystopie meurtrière, la destruction de ses plateformes opérationnelles et la brutalité du retour du principe de réalité. Le caractère orgiaque des manifestations sauvages illustre de manière crue le caractère diffus de l’état d’anomie qui prédomine en milieu chiite et la normalisation des conduites délinquantes sanctionnées par la jurisprudence religieuse. Il est impossible de réunir les conditions d’une paix civile et d’un État de droit avec le délabrement d’une civilité primaire faite de réciprocité morale et d’intériorisation des règles de droit.
L'élection présidentielle et le nouveau cabinet doivent prendre acte de cet état d’ensauvagement avant de se hasarder dans des scénarios hypothétiques et en déphasage par rapport à des réalités réfractaires. L’État est réduit au statut d’une fiction juridique, la concorde civile est à la merci des politiques de domination régionale, la notion de bien public a perdu toute consistance au bénéfice des querelles sauvages d'intérêt, et les verrouillages oligarchiques ont détruit la notion même de démocratie. Les crises conjuguées dont nous pâtissons évoluent dans des vides consécutifs qui laissent peu de chances à des dynamiques de reconstruction.
Le caractère hétéroclite de ce cabinet tranche par rapport aux formations ministérielles du passé par son émancipation à l'égard des clôtures oligarchiques habituelles, mais il arrive difficilement à faire valoir sa spécificité en matière de politiques régaliennes où il demeure otage des extraterritorialités politiques et militaires (Hezbollah, rivalités inter-islamistes et palestiniennes) en faisant l'impasse sur les enjeux souverainistes et en se positionnant sur des axes de militance palestinienne qui ont détruit ce pays tout au long des six dernières décennies. Les lignes de clivage au sein du cabinet relèvent de choix idéologiques et stratégiques que Nawaf Salam et ses partenaires cherchent à occulter, et qui ont été mis à rude épreuve par la politique de domination iranienne et ses variants régionaux.
La politique des arrangements sécuritaires équivoques qui se positionnent sur des axes idéologiques et stratégiques qui ont détruit de manière successive toutes possibilités de règlement négocié des conflits régionaux, à commencer par l'israélo-palestinien, est reconduite une fois de plus dans notre pays, qui a subi soixante ans de conflits destructeurs dus à la militance palestinienne et à ses effets délétères. À défaut d'une politique de rupture avec un actif de conflits ouverts, la nouvelle donne stratégique impulsée par la contre-offensive israélienne finira par faire long feu si on ne s'en saisit pas pour négocier un traité de paix avec Israël.
Les fragilités systémiques du cabinet, ses différends idéologiques, ses incohérences multiples et les aléas d'une guerre civile que les fascismes chiites cherchent à fomenter sont à l'origine des blocages hermétiques d'une gouvernance rendue impossible. Les réformes en matière de politiques publiques et la solution différée de la crise financière dépendent d'une réhabilitation de la souveraineté étatique résolument actée.
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