Le retour de Saad Hariri, un tournant pour la communauté sunnite?
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C’est par un bain de foule qu’a été accueilli Saad Hariri Place des martyrs ce vendredi 14 février. Un retour longtemps attendu par ses partisans après plus de trois ans d’absence de la scène politique libanaise. En effet, une grande partie de la communauté sunnite s’est sentie marginalisée et peu représentée pendant ces dernières années.

Pour l’ancien ministre Rachid Derbas, le retrait du fils de Rafic Hariri avait créé “un vide de leadership” pour la communauté sunnite. Selon l'ancien député du Courant du futur Sami Fatfat, durant cette période, la communauté sunnite s’est fragmentée et ses représentants ont manqué d’unité – une faiblesse particulièrement évidente lors de la formation du dernier gouvernement. “L'absence d’un bloc sunnite unifié a affaibli l’influence des représentants de la communauté, permettant au Premier ministre de composer son cabinet sans réellement tenir compte de leurs revendications”, explique l’ancien député. Il estime qu’avec le retour de Saad Hariri, une meilleure représentation semble désormais possible, bien qu'on ignore encore s'il s’agira d’un retour en personne ou d’une implication par le biais du parti.

Une figure incontournable pour le Courant du futur

Ce retour revêt une importance particulière pour le Courant du futur. Selon Sami Fatfat, les partisans font certes confiance au parti, mais ils restent attachés à la personne de Saad Hariri. Cette proximité que ce dernier tient avec son public constitue un atout majeur pour le parti. “L’idéologie du parti repose sur les principes du père de Saad, Rafic Hariri, et sur son héritage politique. C’est pourquoi, sa présence est essentielle pour garantir la solidité du parti et maintenir son influence sur la scène politique”, souligne-t-il.

Un retour au bon moment?

L’an dernier encore, Saad Hariri repoussait son retour en politique, affirmant que “chaque chose en son temps”. Son choix de revenir aujourd’hui témoigne d’un changement de perspective et d’une prise en compte de la nouvelle dynamique politique au Liban. Selon M. Fatfat, les valeurs exprimées par le chef de l’État sont alignées avec celles du Courant du futur. “Je pense que les idées véhiculées par le président Joseph Aoun lors de son discours d’investiture ont poussé Saad Hariri à revenir, à prononcer un tel discours et à croire de nouveau en la politique libanaise”, affirme-t-il. “La dynamique politique actuelle nous correspond. Il nous reste maintenant à nous y impliquer davantage pour contribuer à la reconstruction du pays”, poursuit l’ancien député.

Par ailleurs, aux yeux de Sami Fatfat, la modération prônée par le haririsme politique – fondée sur l’économie libre, l’ouverture et l’ancrage dans le monde arabe – apparaît comme une alternative nécessaire face à l’extrémisme sectaire, l’intégrisme religieux et le repli sur soi, dans un Liban fracturé par la guerre. Il estime que “le Liban a plus que jamais besoin du haririsme politique et de sa modération”, surtout après la guerre dans laquelle “le Hezbollah nous a entraînés”. “Face à une scène politique polarisée, un parti capable de rassembler au lieu de diviser serait un atout pour le pays”, souligne M. Fatfat, rappelant notamment les nombreuses relations qu’entretient le Courant du futur et Saad Hariri à l’international et qui pourraient jouer un rôle bénéfique pour le Liban.

De son côté, Rachid Derbas considère que le soutien affiché par Saad Hariri au président et au Premier ministre, Nawaf Salam, montre qu'il revient pour “contribuer à la reconstruction du Liban, et non pour entraver leur travail”.

Un long chemin

Malgré cet élan, plusieurs défis attendent Saad Hariri et son parti. Le Courant du futur doit se positionner sur des échéances cruciales telles que la déclaration du gouvernement, ainsi que les élections municipales et législatives. M. Fatfat rappelle que ces prises de positions seront officiellement portées et déclarées par le Courant du futur et sa présidence. Par ailleurs, l’ancien député explique que pour enraciner ce retour à la politique de Saad Hariri et de son parti, il faut passer l’étape cruciale des élections législatives. “Même si le Courant du futur représente la majorité de la communauté sunnite, il ne pourra réellement faire entendre sa voix et mettre en œuvre son programme qu’avec un nombre conséquent de députés au Parlement. Nous ne pourrons y parvenir qu’après les prochaines élections, auxquelles nous nous préparons activement dès à présent”, explique-t-il.

L’un des obstacles majeurs que devra surmonter Saad Hariri avant de revenir pleinement à la vie politique concerne sa relation avec l’Arabie saoudite, selon Moustapha Allouche. L’ancien député et ancien cadre démissionnaire du Courant du futur souligne qu’il “reste des points à éclaircir concernant la manière dont Saad Hariri compte revenir et sous quelle forme”. Pour lui, “cela passe, à minima, par une réconciliation avec l’Arabie saoudite", les faveurs de Riyad ayant toujours renforcé la position politique de Saad comme de son père. Tout en affirmant ne pas avoir plus d’informations sur le sujet, M. Allouche note que si Riyad avait donné son feu vert, M. Hariri aurait sans doute annoncé son retour depuis l’Arabie saoudite.

Un autre défi réside dans la nécessité de restructurer le parti. M. Allouche estime que le Courant du futur doit d’abord revoir son organisation interne et se détacher de certaines figures du passé qui ne correspondaient plus aux principes du haririsme politique. Il considère que "le Courant du futur doit se réinventer" pour s’adapter aux réalités politiques. Reste à voir comment cette restructuration sera mise en œuvre.

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