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Une étreinte millénaire, ultime résistance face à la mort? Qui étaient ces “Amants de Hasanlu”, dont l'embrassement défie le temps et les conventions? Leur découverte bouleverse notre perception de l'amour et de l'humanité dans l'Antiquité.

En 1973, le site archéologique de Teppe Hasanlu, en Iran, livre une découverte aussi inattendue que bouleversante. Parmi les vestiges de cette cité antique anéantie vers 800 av. J.-C., deux squelettes enlacés, comme figés dans un ultime baiser, vont marquer à jamais l'histoire de l'archéologie. Surnommés les “Amants de Hasanlu”, ils soulèvent de nombreuses questions sur leur identité, leur relation et les circonstances tragiques de leur mort.

Hasanlu était une ville prospère du nord-ouest de l'Iran, située sur les rives du lac Urmia. Son histoire, jalonnée de conflits et d'échanges culturels, a connu un tournant dramatique aux alentours de 800 av. J.-C. Assaillie par des envahisseurs dont l'identité reste incertaine – peut-être les Urartiens ou les Assyriens, redoutables puissances militaires de l'époque –, la cité fut réduite en cendres et ses habitants massacrés ou contraints à une fuite éperdue.

Les vestiges exhumés par l'équipe d'archéologues américains dirigée par Robert Dyson témoignent de la violence de l'attaque: bâtiments incendiés, objets précieux abandonnés dans la précipitation, corps sans sépulture jonchant les rues. Mais de toutes ces découvertes macabres, ce sont les “Amants” qui ont le plus intrigué les chercheurs.

Deux hommes enlacés dans la mort

Initialement identifiés comme un homme et une femme, des analyses ostéologiques approfondies ont révélé que les deux squelettes appartenaient en réalité à deux individus masculins. Le plus jeune, répertorié sous le code SK 335, était âgé de 19 à 22 ans, tandis que le second, SK 336, avait entre 30 et 35 ans au moment de sa mort.

Leur position est saisissante. Ils sont couchés côte à côte dans un bac en plâtre et en briques de boue, l'un touche de sa main le visage de l'autre, dans ce qui semble être une étreinte désespérée. Fait étonnant, aucune blessure apparente ne permet d'expliquer leur décès. L'hypothèse la plus probable est qu'ils ont péri asphyxiés, peut-être réfugiés dans cet espace exigu pour échapper aux assaillants et aux flammes qui ravageaient la ville.

Mais au-delà des circonstances tragiques de leur mort, c'est la nature du lien unissant ces deux hommes qui suscite le plus d'interrogations. Étaient-ils amants, amis, frères d'armes? Si une relation amoureuse entre deux individus du même sexe peut sembler révolutionnaire pour l'époque, elle n'est pas à exclure d'emblée. Dans l'Antiquité, les marques d'affection physique n'étaient pas nécessairement liées à une relation romantique ou sexuelle. Cependant, si tel était le cas, cela offrirait un éclairage rare et précieux sur la diversité des attachements dans les sociétés antiques, à une période où les sources écrites restent muettes sur le sujet.

Une fenêtre sur les destins oubliés

Car l'archéologie a ce pouvoir singulier de donner voix à ceux que l'Histoire officielle a passés sous silence; de faire resurgir, le temps d'un instant, ces vies ordinaires fauchées dans la tourmente des conflits et des invasions. Les “Amants de Hasanlu” ne sont pas que des ossements anonymes; ils incarnent tous ces destins brisés, tous ces liens tissés envers et contre tout, toutes ces existences interrompues dans leur prime jeunesse.

Leur image, souvent comparée à celle des célèbres “Amants de Pompéi”, figés à jamais dans les cendres du Vésuve, a profondément marqué les imaginaires. Exposés pendant des années au Penn Museum de Philadelphie, ils ont suscité une vive émotion, bien au-delà de la sphère scientifique.

Malgré les nombreuses études dont ils ont fait l'objet, les "Amants de Hasanlu" conservent une part de mystère. Les analyses ADN n'ont pas permis d'établir avec certitude leur lien de parenté, laissant le champ libre aux hypothèses sur la nature exacte de leur relation. Certains chercheurs ont évoqué la possibilité d'un couple homosexuel, d'autres ont suggéré un lien fraternel ou amical particulièrement fort.

Mais quelle que soit la vérité, leur étreinte éternelle reste un témoignage émouvant de la force des liens humains face à l'adversité. Dans les derniers instants de leur vie, alors que leur cité s'effondrait sous les coups des envahisseurs, ces deux hommes ont cherché refuge l'un dans les bras de l'autre, dans un ultime geste de réconfort et d'affection.

C’est peut-être là le plus bel enseignement que nous livrent, par-delà les millénaires, ces deux êtres enlacés pour l'éternité dans les ruines de Hasanlu.

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