L'accord de trêve à Gaza laisse un goût de victoire amer au président américain Joe Biden quelques jours avant l'arrivée à la Maison Blanche de son rival Donald Trump, qui s'en est vite attribué le mérite, en partie à raison selon des experts.
Le président démocrate sortant a lui-même précisé qu'il avait travaillé en "équipe" avec celui qui deviendra lundi le 47e président des États-Unis, tandis que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou "a remercié" MM. Trump et Biden pour avoir contribué à "la libération des otages" détenus par le Hamas.
Le bureau du chef de gouvernement israélien a révélé qu'il avait parlé tour à tour aux deux dirigeants américains.
L'accord entre Israël et le groupe islamiste palestinien Hamas, qui doit entrer en vigueur dimanche à la veille de l'investiture de Donald Trump, reprend les principes théoriques énoncés par Joe Biden fin mai et que huit mois d'efforts diplomatiques n'avaient pas permis de concrétiser jusqu'ici.
Cette percée historique annoncée par le Qatar et les États-Unis rappelle le dénouement d'une crise entre Téhéran et Washington il y a 45 ans: la libération d'otages détenus par l'Iran à l'ambassade américaine pendant 444 jours était survenue le 20 janvier 1981, une dizaine de minutes après l'investiture du républicain Ronald Reagan qui avait battu le démocrate Jimmy Carter.
Main dans la main
Cette fois, l'administration Biden et l'équipe Trump ont travaillé main dans la main. Notamment à l'occasion lundi d'une rencontre entre l'émir du Qatar Cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, une délégation du Hamas et les émissaires pour le Proche-Orient du président américain sortant et de son successeur, Brett McGurk et Steve Witkoff.
M. Witkoff a même interrompu samedi le shabbat de M. Netanyahou pour hâter la conclusion d'un accord.
Donald Trump, qui s'est aussitôt vanté que "nous (ayons) un accord sur les otages", a estimé que cela "n'a(vait) pu voir le jour que grâce à notre victoire historique en novembre".
"Le président (Biden) a fait ce qu'il fallait", a rétorqué la porte-parole de la Maison Blanche, Karine Jean-Pierre.
Au département d'État, son porte-parole Matthew Miller a reconnu que Donald Trump avait fait preuve de "continuité" dans la politique étrangère américaine au Proche-Orient, mais il a jugé qu'il n'avait pas exercé de véritable pression sur les protagonistes du conflit.
Joe Biden, soutien indéfectible d'Israël à qui il a fourni des milliards de dollars d'armements depuis l'attaque meurtrière du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre 2023, a été la cible de l'aile gauche du Parti démocrate et d'électeurs américains musulmans et arabes.
Trump "remercié, Biden "condamné"
Ainsi, dans un communiqué au vitriol, l'organisation Council on American-Islamic Relations "remercie le président élu Trump pour avoir mis la pression sur toutes les parties, y compris Netanyahou, afin de parvenir à un accord, et condamne le président Biden pour avoir refusé d'user de l'influence américaine en vue de boucler cet accord il y a des mois, ce qui a conduit à des milliers de morts inutiles".
"L'administration Biden était terrifiée du coût politique des pressions sur Israël", estime Sarah Leah Whitson, directrice d'une organisation américaine des droits humains pour le Moyen-Orient, Dawn, dans un pays qui compte le plus grand nombre de juifs au monde (environ six millions), après Israël.
Mme Whitson pense que M. Trump, qui fut lors de son premier mandat (2017-2021) particulièrement pro-israélien, a certainement fait comprendre à M. Netanyahou qu'il ne "voulait pas hériter" du conflit à Gaza, tout en menaçant le Hamas de "l'enfer" si les otages n'étaient pas libérés avant le 20 janvier.
"Il y a eu sans aucun doute un effet Trump qui a joué à plein", renchérit David Khalfa de la Fondation Jean-Jaurès à Paris.
"Du côté du Hamas, il y avait les menaces de Trump (...) et les groupes de la région se méfient de son côté imprévisible. Du côté israélien, il y a un alignement idéologique entre la droite américaine trumpiste et le Premier ministre israélien", décrypte l'expert.
"Et la marge politique de (Netanyahou) face à Trump, qui n’aura pas la pression d’une réélection, était très faible", conclut-il.
Au contraire, Brian Katulis, analyste au Middle East Institute de Washington, ne croit pas vraiment que les "menaces de Trump aient joué un rôle énorme sur chaque camp".
"Ce sont plutôt les grandes interrogations sur ce qui va se passer" sous la présidence Trump qui "ont pu motiver ceux qui bloquaient" tout accord.
Par Shaun TANDON avec Nicolas REVISE et Didier LAURAS, AFP
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